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POLYBE, LIV. III.

numide, il ne manqua pas de mettre en avant la sienne, et de lui donner ordre d’en venir aux mains. Elle fut suivie de six mille hommes armés à la légère. Il sortit enfin lui-même des retranchemens avec tout le reste de ses troupes. Il était si fier de la nombreuse armée qu’il commandait, et de l’avantage qu’il avait remporté le jour précédent, qu’il s’imaginait que pour vaincre il n’avait qu’à se présenter. On était alors en plein hiver, il neigeait ce jour-là même, et faisait un froid glacial, et l’armée romaine s’était mis en marche sans avoir pris aucune nourriture. Les soldats partirent avec empressement et grand désir de combattre ; mais quand ils eurent passé la Trébie, enflée ce jour-là par les torrens qui s’y étaient précipités des montagnes voisines pendant le nuit, et où ils avaient de l’eau jusque sous les aisselles, le froid et la faim (car le jour était avancé) les avaient étrangement affaiblis. Les Carthaginois au contraire avaient bu et mangé sous leurs tentes, avaient disposé leurs chevaux, et s’étaient frottés d’huile, et revêtus de leurs armes auprès du feu.

Quand les Romains furent sortis de la rivière, Annibal, qui attendait ce moment, envoya en avant les soldats armés à la légère et les frondeurs des îles Baléares, au nombre d’environ huit mille hommes, et il les suivit à la tête de toute l’armée. À un mille de son camp, il rangea sur une ligne son infanterie, qui faisait près de vingt mille hommes tant Gaulois qu’Espagnols et Africains. La cavalerie, qui, en comptant les Gaulois alliés, s’élevait à plus de dix mille hommes, fut distribuée sur les ailes, où il plaça aussi les éléphans, partie devant la gauche, partie devant la droite de l’infanterie.

Sempronius, de son côté, rappela sa cavalerie, qui se fatiguait inutilement contre les Numides, cavaliers habiles, accoutumés à fuir en désordre au premier choc, et à revenir à la charge aussi hardiment qu’ils y étaient venus. Son ordonnance fut celle dont les Romains ont coutume de se servir. Il avait à ses ordres seize mille Romains et vingt mille alliés, nombre auquel s’élève une armée complète, lorsqu’il s’agit de quelque grande expédition, et que les deux consuls se trouvent réunis ensemble. Il jeta sur les deux ailes sa cavalerie, qui était de quatre mille chevaux, s’avança fièrement vers l’ennemi, au petit pas, et en ordre de bataille.

Quand on fut en présence, les soldats armés à la légère de part et d’autre engagèrent l’action. Autant cette première charge fut désavantageuse aux Romains, autant fut-elle favorable aux Carthaginois. Du côté des premiers, c’étaient des soldats qui depuis le matin souffraient du froid et de la faim, et dont les traits avaient été lancés pour la plupart dans le combat contre les Numides. Ce qui leur en restait, était si appesanti par l’eau dont ils avaient été trempés, qu’ils ne pouvaient être d’aucun usage. La cavalerie, toute l’armée étaient également hors d’état d’agir. Rien de tout cela ne se trouvait du côté des Carthaginois : frais, vigoureux, pleins d’ardeur, rien ne les empêchait de faire leur devoir.

Aussi, dès que les soldats armés à la légère se furent retirés par les intervalles, et que l’infanterie pesamment armée en fut venue aux mains, alors la cavalerie carthaginoise, qui surpassait de beaucoup la romaine en nombre et en vigueur, tomba sur celle-ci avec tant de force et d’impétuosité, qu’en un moment elle l’enfonça et la mit en fuite. Les flancs de l’infanterie romaine découverts, les soldats armés à la légère des Carthaginois, et les Nu-