Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
496
POLYBE, LIV. III.

qu’il était non-seulement utile, mais nécessaire de presser les Carthaginois dans ce pays-là, et d’y allumer la guerre de plus en plus, mit en mer vingt vaisseaux sous la conduite de Publius Scipion, qui avait déjà été choisi pour cette guerre, et lui donna ordre de joindre au plus tôt Cnéus, son frère, pour agir avec lui de concert. Il craignait que les Carthaginois dominant dans ces contrées, et y amassant des munitions et de l’argent en abondance, ne se rendissent maîtres de la mer, et qu’en fournissant de l’argent et des troupes à Annibal, ils ne l’aidassent à subjuguer l’Italie. C’est pour cela que cette guerre leur parut si importante, qu’ils envoyèrent une flotte et qu’ils en donnèrent le commandement à Publius Scipion, qui, arrivé en Espagne et joint à son frère, rendit de très-grands services à la république. Jusqu’alors les Romains n’avaient osé passer l’Èbre ; ils croyaient avoir assez fait de s’être gagné l’alliance et l’amitié des peuples d’en deçà ; mais sous Publius ils traversèrent ce fleuve et portèrent leurs armes bien au-delà. Le hasard même sembla pour lors agir de concert avec eux. Ayant effrayé les peuples qui habitaient l’endroit du fleuve qu’ils avaient choisi pour le passer, ils s’avancèrent jusqu’à Sagonte et campèrent à cinq milles de cette ville, proche d’un temple consacré à Vénus, poste également, avantageux, et parce qu’il les mettait hors d’insulte, et parce que la flotte qui les côtoyait leur fournissait commodément tout ce qui leur était nécessaire. Or, voici ce qui arriva dans cet endroit.




CHAPITRE XXI.


Trahison d’Abilyx. — Annibal lève son camp, et prend ses quartiers d’hiver autour de Gérunium. — Combat où Minucius a l’avantage.


Pendant qu’Annibal était en marche pour aller en Italie, dans toutes les villes d’Espagne dont il se défiait, il eut la précaution de prendre des ôtages, et ces ôtages étaient les enfans des familles les plus distinguées, qu’il avait tous mis comme en dépôt dans Sagonte, tant parce que la ville était fortifiée, qu’à cause de la fidélité des habitans qu’il y avait laissés. Certain Espagnol nommé Abilyx, personnage distingué, et qui se donnait pour l’homme de sa nation le plus dévoué aux intérêts des Carthaginois, jugeant, à la situation des affaires, que les Romains pourraient bien avoir le dessus, conçut un dessein tout-à-fait digne d’un Espagnol et d’un Barbare : c’était de livrer les ôtages aux Romains. Il se flattait qu’après leur avoir rendu un si grand service, et leur avoir donné une preuve si éclatante de son affection pour eux, il ne manquerait pas d’en être magnifiquement récompensé.

Ravi et uniquement occupé de ce perfide projet, il va trouver Bostar, qu’Asdrubal avait envoyé là pour arrêter les Romains au passage de l’Èbre, mais qui n’ayant osé rien hasarder, retiré à Sagonte, s’était campé du côté de la mer ; homme simple d’ailleurs et sans détours, naturellement doux, facile, et qui ne se défiait de rien. Le traître tourne la conversation sur les ôtages, et lui dit qu’après le passage de l’Èbre par les Romains, les Carthaginois ne pouvaient plus par la crainte contenir les Espagnols dans le devoir ; que les circonstances actuelles demandaient qu’ils s’étudiassent à se les atta-