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POLYBE, LIV. III.

qu’à à arracher la palissade qui la couvrait, et à l’assiéger presque dans son camp. Annibal fut surpris de ce revers de fortune, mais il n’en fut point déconcerté. Il repoussa ceux qui approchaient, et défendit du mieux qu’il put ses retranchemens. Plus hardi quand Asdrubal fut venu à son secours avec quatre mille des fourrageurs qui étaient de retour au camp, il avança contre les Romains, mit ses troupes en bataille à la tête du camp, et fit tant qu’il se tira, quoique avec peine, du danger dont il avait été menacé, mais non sans avoir perdu beaucoup de monde à ses retranchemens, et un plus grand nombre de ceux qu’il avait envoyés au fourrage.

Après cet exploit, le général romain se retira plein de belles espérances pour l’avenir. Le lendemain les Carthaginois quittèrent leur camp, et Minucius vint l’occuper. Annibal avait jugé à propos de l’abandonner pour retourner dans son premier camp devant Gérunium, de peur que pendant la nuit les Romains ne s’en rendissent maîtres, et qu’étant dénué de défense, ils ne s’emparassent des vivres et des munitions qu’ils y avaient amassés. Depuis ce temps-là, autant les fourrageurs carthaginois se tinrent sur leurs gardes, autant ceux des Romains allèrent tête levée et avec confiance.




CHAPITRE XXII.


Minucius est fait dictateur comme Fabius, et prend la moitié de l’armée. — Annibal lui dresse un piége, il y tombe, et, confus de sa défaite, il rend ses troupes à Fabius, et se soumet à ses ordres. — Les deux dictateurs cèdent le commandement à L. Émilius, et à Caïus Terentius Varron.


À Rome, quand on apprit ce qui s’était passé à l’armée d’Italie, et que l’on exagérait bien au-delà du vrai, ce fut une joie qui ne se peut exprimer. Comme jusqu’alors on n’avait presque rien espéré de cette guerre, on crut que les affaires allaient changer de face. Et d’ailleurs cet avantage fit penser que, si jusqu’à présent les troupes n’avaient rien fait, ce n’était pas qu’elles manquassent de bonne volonté ; mais qu’il ne fallait s’en prendre qu’à la timide circonspection et à la prudence excessive du dictateur, sur le compte duquel on ne ménagea plus les termes. Chacun en parla sans façon, comme d’un homme qui par lâcheté n’avait osé rien entreprendre, quelque occasion qui se fût présentée. On conçut au contraire une si grande estime du général de la cavalerie, que l’on fit alors ce qui jamais ne s’était fait à Rome : dans la persuasion où l’on était qu’il terminerait bientôt la guerre, on le nomma aussi dictateur. Il y eut donc deux dictateurs pour la même expédition, chose auparavant inouïe chez les Romains.

Quand la nouvelle vint à Minucius, et des applaudissemens qu’il avait reçus, et de la dignité suprême où il avait été élevé, le désir qu’il avait d’affronter l’ennemi et de le combattre n’eut plus de bornes. Pour Fabius, de retour à l’armée, il reprit ses premières allures. Le dernier avantage remporté sur les Carthaginois, loin de lui faire quitter sa prudente et sage lenteur, ne servit qu’à l’y affermir. Mais il ne put soutenir l’orgueil et la fierté de son collègue ; il se lassa des contradictions qu’il avait à en essuyer, et, rebuté de lui entendre toujours demander une bataille, il lui proposa cette alternative, ou de prendre un temps pour commander seul, ou de partager les troupes, et de faire de celles qui le suivraient tel usage qu’il jugerait à propos. Minucius choisit de grand cœur

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