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POLYBE, LIV. III.

du croissant aux Romains. Ceux-ci suivent donc de près les Gaulois et les Espagnols, et, s’attroupant vers le milieu, à l’endroit où l’ennemi plia, poussèrent si fort en avant, qu’ils touchèrent des deux côtés les Africains pesamment armés. Les Africains de la droite, en faisant la conversion de droite à gauche, se trouvèrent tout le long du flanc de l’ennemi, aussi bien que ceux de la gauche qui la firent de gauche à droite, les circonstances même leur enseignant ce qu’ils avaient à faire. C’est ce qu’Annibal avait prévu : que les Romains poursuivant les Gaulois ne manqueraient pas d’être enveloppés par les Africains. Les Romains alors, ne pouvant plus garder leurs rangs et leurs files, furent contraints de se défendre homme à homme et par petits corps contre ceux qui les attaquaient de front et de flanc.

Émilius avait échappé au carnage qui s’était fait à l’aile droite au commencement du combat. Voulant, selon la parole qu’il avait donnée, se trouver partout, et voyant que c’était l’infanterie légionnaire qui déciderait du sort de la bataille, il pousse à cheval au travers de la mêlée, écarte, tue tout ce qui se présente, et cherche en même temps à ranimer l’ardeur des soldats romains. Annibal, qui pendant toute la bataille était resté dans la mêlée, faisait la même chose de son côté.

La cavalerie numide de l’aile droite, sans faire ni souffrir beaucoup, ne laissa pas d’être utile dans cette occasion par sa manière de combattre ; car fondant de tous côtés sur les ennemis, elle leur donna assez à faire pour qu’ils n’eussent pas le temps de penser à secourir leurs gens, mais lorsque l’aile gauche, où commandait Asdrubal, eut mis en déroute toute la cavalerie de l’aile droite des Romains, à un très-petit nombre près, et qu’elle se fut jointe aux Numides, la cavalerie auxiliaire n’attendit pas qu’on tombât sur elle, et lâcha pied.

On dit qu’alors Asdrubal fit une chose qui prouve sa prudence et son habileté, et qui contribua au succès de la bataille. Comme les Numides étaient en grand nombre, et que ces troupes ne sont jamais plus utiles que lorsqu’on fuit devant elles, il leur donna les fuyards à poursuivre, et mena la cavalerie espagnole et gauloise à la charge pour secourir l’infanterie africaine. Il fondit sur les Romains par les derrières, et, faisant charger sa cavalerie en troupes dans la mêlée par plusieurs endroits, il donna de nouvelles forces aux Africains et fit tomber les armes des mains des ennemis. Ce fut alors que L. Émilius, citoyen, qui pendant toute sa vie, ainsi que dans ce dernier combat, avait noblement rempli ses devoirs envers son pays, succomba enfin tout couvert de plaies mortelles.

Les Romains combattaient toujours, et, faisant front à ceux dont ils étaient environnés, ils résistèrent tant qu’ils purent ; mais les troupes qui étaient à la circonférence, diminuant de plus en plus, ils furent enfin resserrés dans un cercle plus étroit, et passés tous au fil de l’épée. Atilius et Servilius, deux personnages d’une grande probité, et qui s’étaient signalés dans le combat en vrais Romains, furent aussi tués dans cette occasion.

Pendant le carnage qui se faisait au centre, les Numides poursuivirent les fuyards de l’aile gauche. La plupart furent taillés en pièces, d’autres furent jetés en bas de leurs chevaux ; quelques-uns se sauvèrent à Vénuse, du nombre desquels était Varron, le général romain, cet homme abominable dont la magistrature coûta si cher à sa patrie.