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POLYBE, LIV. V.

le reste, qui montait à plus de quinze mille, fut réduit en cendres. Jusque-là il n’y avait rien que de juste, rien qui ne fût selon les lois de la guerre ; mais ce qui se fit ensuite, je ne sais comment le qualifier. Transportés de fureur par le souvenir des ravages qu’avaient faits les Étoliens à Dios et à Dodone, ils mirent le feu aux galeries, brisèrent tous les vœux qui y étaient appendus, et entre lesquels il y en avait d’une beauté et d’un prix extraordinaires. On ne se contenta pas de brûler les toits, on rasa le temple ; les statues, dont il y avait au moins deux mille, furent renversées. On en mit en pièces un grand nombre ; on n’épargna que celles qui avaient des inscriptions, ou qui représentaient les dieux. Et on écrivit sur les murailles ce vers célèbre, un des premiers essais de la muse spirituelle de Samus, fils de Chrysogone, et qui avait été élevé avec le roi :

Vois-tu Dios ? c’est de là que le coup est parti.

L’horreur qu’avaient inspirée à Philippe et à ses amis les sacriléges commis à Dios par les Étoliens, leur persuadait sans doute qu’il était permis de s’en venger par les mêmes crimes, et que ce qu’ils faisaient n’était qu’une juste représaille. On me permettra de penser autrement, et il est facile à chacun de voir si j’ai raison ou non. Sans chercher des exemples ailleurs que dans la même famille royale de Macédoine, quand Antigonus eut vaincu en bataille rangée Cléomène, roi des Lacédémoniens, et se fut rendu maître de Sparte, il pouvait alors disposer à son gré de la ville et des habitans ; cependant, loin de sévir contre les vaincus, il les rétablit dans la forme de gouvernement qu’ils avaient reçue de leurs pères, et ne retourna en Macédoine qu’après avoir fait de grands biens et à la Grèce en général, et aux Lacédémoniens même qu’il venait de se soumettre. Aussi passa-t-il alors pour un bienfaiteur, et après sa mort pour un libérateur, et s’acquit non-seulement chez les Lacédémoniens, mais parmi tous les peuples de la Grèce, une réputation et une gloire immortelles.

Ce Philippe, qui le premier a reculé les bornes du royaume de Macédoine, à qui la famille royale est redevable de toute sa splendeur, et qui défit les Athéniens à Chéronée, ce Philippe a moins fait par les armes que par la modération et la douceur : car dans cette guerre il ne vainquit par les armes que ceux qui les avaient prises contre lui ; mais ce fut par sa douceur et son équité qu’il subjugua les Athéniens, et Athènes même. Dans la guerre, la colère ne l’emportait point au-delà des bornes ; il ne gardait les armes que jusqu’à ce qu’il trouvât occasion de donner des marques de sa clémence et de sa bonté. De là vint qu’il rendit les prisonniers sans rançon, qu’il eut soin des morts, qu’il fit porter par Antipater leurs os à Athènes et qu’il donna des habits à la plupart des prisonniers qu’il avait relâchés. Ce fut par cette sage et profonde politique qu’il fit à peu de frais une conquête très-importante. Une telle grandeur d’âme étonna l’orgueil des Athéniens, et, d’ennemis qu’ils étaient, ils devinrent les alliés les plus fidèles et les plus dévoués à ses intérêts.

Que dirai-je d’Alexandre ? Irrité contre Thèbes jusqu’à vendre à l’encan ses habitans et raser la ville, tant s’en fallut qu’il oubliât le respect qu’il devait aux dieux, qu’il eut soin que l’on ne commît pas, même par imprudence, la moindre faute contre les temples et les autres lieux sacrés. Il passe en Asie pour y venger les Grecs des outrages qu’ils avaient reçus des Perses, les

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