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POLYBE, LIV. V.

fant, l’arrière-garde fut obligée de faire volte-face et d’en venir aux mains. D’abord on combattit à forces égales ; mais les mercenaires de Philippe étant venus au secours, les ennemis plièrent, et l’infanterie, pêle-mêle avec la cavalerie étolienne, prit la fuite. Les troupes du roi en poursuivirent la plupart jusqu’aux portes et aux pied des murailles, et en passèrent environ cent au fil de l’épée. Depuis cette affaire, ceux qui étaient dans la ville n’osèrent plus remuer, et l’arrière-garde joignit tranquillement le reste de l’armée et les vaisseaux.

À Limnée, le roi, s’étant campé commodément, offrit aux dieux des sacrifices en action de grâces des heureux succès dont ils avaient favorisé ses entreprises, et fit un festin aux officiers. Quelque témérité qu’il y eût en apparence à affronter des lieux escarpés, où jamais personne avant lui n’avait osé pénétrer avec une armée, non-seulement ce prince en approcha, mais en revint sans risque et après avoir heureusement exécuté tout ce qu’il s’était proposé : aussi sa joie ne pouvait être plus grande dans le festin qu’il donna aux officiers. Il n’y eut que Léontius et Mégaléas qui, ayant conjuré avec Apelles d’arrêter ses progrès, se firent un vrai chagrin du bonheur de leur prince, et de n’avoir pu empêcher que tous ses desseins ne réussissent selon ses souhaits ; mais, quelque chagrin qu’ils eussent, ils ne laissèrent pas de venir au festin comme les autres.

Ils ne purent dissimuler, et chacun s’aperçut d’abord qu’ils ne prenaient point autant de part que le reste de la compagnie à la joie d’une si heureuse expédition. Mais ce que l’on ne faisait que soupçonner d’abord, ils le firent éclater quand le repas fut plus avancé, et que le vin eut échauffé la tête des convives. Troublés par le vin, le repas ne fut pas plus tôt fini, qu’ils cherchèrent Aratus avec empressement. Ils le joignirent, et, après les injures, ils eurent bientôt recours aux pierres. On s’amasse chacun pour soutenir son parti, tout le camp est eu tumulte. Le bruit en vient aux oreilles du roi : il envoie pour savoir ce qui se passe et pour remédier au désordre. Aratus raconte le fait, atteste tous ceux qui étaient présens, se retire du tumulte et se réfugie dans sa tente. Pour Léontius, il se glissa je ne sais comment au travers de la foule, et s’échappa.

Le roi, exactement informé de ce qui s’était passé, fit appeler Mégaléas et Crinon, et leur fit une sévère réprimande ; mais ceux-ci, loin d’en paraître touchés, ajoutèrent une nouvelle faute à la première, en protestant qu’ils n’en resteraient point là, et qu’ils se vengeraient d’Aratus. Cette menace irrita le roi de telle sorte, qu’il les condamna à une amende de vingt talens et les fit jeter en prison. Le lendemain il envoya chercher Aratus, l’exhorta à demeurer sans crainte, et lui promit de mettre bon ordre à cette affaire. Léontius, averti de ce qui était arrivé à Mégaléas, vint, suivi de quelques soldats, à la tente du roi, persuadé que ce jeune prince aurait peur de ce cortége, et changerait bientôt de résolution. Arrivé devant le roi : « Qui a été assez hardi, demanda-t-il, pour porter les mains sur Mégaléas et pour le mettre en prison ? — C’est moi, » répondit fièrement le roi. Léontius fut effrayé, il prononça tout bas quelques paroles, et se retira fort en colère.

On mit ensuite à la voile, on traversa le golfe, et la flotte arriva en peu de temps à Leucade. Là le roi, après avoir donné ordre aux officiers nommés pour la distribution du butin de remplir leur charge en diligence, assembla ses amis