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POLYBE, LIV. V.

tait point gardé. Les Selgiens crurent que c’était la crainte d’être forcés qui les faisait retirer, et ne pensèrent point du tout à les arrêter. Mais la cavalerie de Garsyéris ayant tourné par leurs derrières et chargé brusquement, l’infanterie encouragée, quoiqu’elle eût déjà été renversée, revint à la charge. Les Selgiens enveloppés prennent la fuite. En même temps les Pednélissiens fondent sur ceux qui avaient été laissés au camp, et les en délogent. Les vaincus s’écartèrent de côté et d’autre ; il en resta au moins dix mille sur la place. De ceux qui se sauvèrent, les alliés se retirèrent chez eux, et les Selgiens s’enfuirent par les montagnes dans leur patrie.

Garsyéris, qui désirait de passer les défilés, et d’approcher de Selge avant que les fuyards, revenus de leur frayeur, pussent l’arrêter et délibérer sur ce qu’ils auraient à faire, se mit sur-le-champ à leur poursuite, et arriva à Selge avec son armée. Les Selgiens, ne pouvant plus espérer de secours de leurs alliés après la dernière défaite, et effrayés de l’échec qu’ils avaient reçu, commencèrent à craindre pour eux-mêmes et pour leur patrie. Ils convoquèrent une assemblée où il fut résolu de députer un de leurs citoyens à Garsyéris. Ils choisirent pour cela Logbasis. Cet homme avait été long-temps ami de cet Antiochus qui était mort en Thrace, et avait élevé, comme sa propre fille et avec une tendresse extrême, Laodice, qui lui avait été confiée, et qui fut depuis femme d’Achéus. Tout cela fit croire qu’on ne pouvait, dans la conjecture présente, faire un choix plus heureux. Logbasis entra en conférence avec Garsyéris : mais, loin de rendre service à sa patrie, comme on attendait de lui, il exhorta ce général à avertir au plus tôt Achéus que Logbasis se chargeait de lui livrer Selge. On ne pouvait faire à Garsyéris une proposition qui lui fût plus agréable. Il envoya sur-le-champ à Achéus pour lui apprendre ce qui se passait, et le faire venir. On fit une trève avec les Selgiens, on recula la conclusion du traité ; toujours quelque difficulté se présentait en attendant Achéus, et pour donner à Logbasis le loisir de conférer avec lui, et de prendre des mesures pour l’exécution de son dessein.

Pendant qu’où allait et venait pour cela, les soldats passaient librement du camp à la ville pour y prendre des vivres. On a éprouvé cent et cent fois combien cette liberté était funeste ; cependant on n’y met point ordre. En vérité, c’est mal à propos que l’homme passe pour le plus rusé de tous les animaux, il n’y en a point de plus facile à surprendre ; car combien de camps, combien de garnisons, combien de grandes villes se sont perdues par cette liberté ? Ce malheur est arrivé à une infinité de gens, les faits sont certains, et malgré cela nous sommes toujours neufs sur ces sortes de surprises. La raison en est qu’on ne s’applique pas à connaître les malheurs où sont tombés, faute de certaines précautions, ceux qui nous ont précédés. On se donne beaucoup de peine, on fait de grandes dépenses pour amasser des vivres et de l’argent, pour élever des murailles, pour avoir des armes, et l’on néglige la connaissance de l’histoire, la plus aisée de toutes à acquérir, et qui fournit le plus de ressources dans les occasions fâcheuses ; et cela, pendant qu’on pourrait dans un honnête repos, et avec beaucoup de plaisir, se remplir l’esprit de ces connaissances par la lecture de ce qui s’est passé avant nous.

Achéus arriva au temps marqué, et