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POLYBE, LIV. VI.

forte. Ainsi périt la royauté et la monarchie.

La ruine de ces deux sortes de gouvernemens donna naissance à l’aristocratie. Le peuple, sensible aux bienfaits de ceux qui l’avaient délivré des monarques, mit ces généreux citoyens à sa tête et se soumit à leur direction. Ceux-ci, touchés de l’honneur qu’on leur avait fait, s’appliquèrent d’abord, en toutes choses, à se rendre utiles à la république, et donnèrent tous leurs soins et toute leur attention à faire en sorte que le peuple en général et les particuliers eussent à se louer de leur gouvernement. Mais, dans la suite, leurs enfans, ayant succédé à cette même puissance, gens aussi peu accoutumés au travail qu’ignorans sur l’égalité et la liberté, qui sont le fondement d’une république, et élevés dès leur naissance dans les honneurs et les dignités de leurs pères, s’adonnèrent, les uns à amasser des richesses et de l’argent par des voies injustes, les autres aux plaisirs de la table, et d’autres encore aux débauches et aux amours les plus infâmes. Par cette conduite, ils réveillèrent dans l’esprit du peuple les sentimens qu’il avait eus à l’égard des tyrans, et le portèrent à se défaire d’eux de la même manière.

Ainsi l’aristocratie fut changée en oligarchie ; car, quelque citoyen voyant l’envie et la haine dont tout le peuple était animé contre les chefs, et ayant eu la hardiesse de faire ou de dire quelque chose contre eux, il trouva tous ses concitoyens dans la disposition de se soulever et de lui prêter la main. On tua les uns, on chassa les autres. Alors, comme on craignait encore les injustices des premiers rois, on se garda bien de rétablir la royauté. On ne voulut pas non plus confier le gouvernement à un certain nombre de citoyens : la mémoire des désordres de leur administration était trop récente. Il ne restait donc plus au peuple d’autre espérance que dans lui-même ; il se tourna de ce côté-là, et, se chargeant seul du gouvernement et du soin des affaires, il changea l’oligarchie en démocratie.

Tant qu’il resta quelqu’un de ceux qui avaient souffert des gouvernemens précédens, on se trouva bien du gouvernement populaire, on ne voyait rien au-dessus de l’égalité et de la liberté dont on y jouissait. Cela se maintint assez bien pendant quelque temps ; mais, au bout d’une certaine succession d’hommes, on commença à se lasser de ces deux grands avantages ; l’usage et l’habitude en firent perdre le goût et l’estime. Les grandes richesses firent naître dans quelques-uns l’envie de dominer. Possédés de cette passion, et ne pouvant parvenir à leur but ni par eux-mêmes, ni par leurs vertus, ils employèrent leurs biens à suborner et à corrompre le peuple par toutes sortes de voies. Celui-ci, gagné par les largesses sur lesquelles il vivait, prêta la main à leur ambition, et dès lors périt le gouvernement populaire : rien ne se fit plus que par la force et par la violence ; car, quand le peuple est une fois accoutumé à vivre sans qu’il lui en coûte aucun travail, et à satisfaire ses besoins avec le bien d’autrui, s’il trouve un chef entreprenant, audacieux, et que la misère exclut des charges, alors il se porte aux derniers excès : il s’ameute, ce ne sont plus que meurtres, qu’exils, que partage des terres, jusqu’à ce qu’enfin un nouveau maître, un monarque, usurpe le pouvoir et dompte ces fureurs.

Telles sont les révolutions des états, tel est l’ordre suivant lequel la nature change la forme des républiques. Avec ces connaissances, si l’on peut se trom-