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POLYBE, LIV. VI.

dre les bornes de l’état, qu’on n’ambitionnât l’empire sur ses voisins, qu’on ne se rendit le maître et l’arbitre des affaires. On ne voit rien sur cet article, ni dans les lois qui concernent les différentes parties de la république, ni dans celles qui regardent l’état en général. Cependant ce n’était point assez que les particuliers fussent sobres, modérés et contens de la portion de biens qui leur était donnée ; il fallait encore mettre tout l’état dans la nécessité de suivre cet esprit, ou le lui inspirer. Or, c’est ce que Lycurgue n’a point fait. Il a exterminé l’envie et la jalousie d’entre les particuliers, il les a instruits de tout ce qu’ils devaient savoir sur les lois de l’état ; mais il a permis qu’ils fussent très-jaloux des autres Grecs, qu’ils aimassent à les dominer, qu’ils tâchassent de s’enrichir à leurs dépens ; car qui ne sait que les Lacédémoniens furent presque les premiers entre les Grecs, qui, avides des terres de leurs voisins, portèrent la guerre chez les Messéniens pour tirer de l’argent des prisonniers qu’ils faisaient ? qui ne sait que ce furent eux qui s’obstinèrent au siége de Messène, au point qu’ils firent serment de ne le point lever que la ville ne fût prise ? Il est encore notoire que, par désir de dominer sur les Grecs, ils eurent la faiblesse de se soumettre aux ordres de gens qu’ils avaient vaincus ; car, après avoir combattu pour la liberté commune de la Grèce, et avoir défait les Perses qui voulaient l’envahir ; après les avoir forcés de retourner dans leur pays, ils leur livrèrent, par le traité de paix fait par Antalcidas, les villes mêmes pour lesquelles ils avaient pris les armes, dans la vue de tirer d’eux l’argent dont ils avaient besoin pour se soumettre les Grecs. Ce fut alors qu’ils sentirent en quoi leur gouvernement était défectueux ; car, tant qu’ils bornèrent leur ambition aux terres de leurs voisins et à la conquête du Péloponnèse, il leur fut aisé d’avoir de la Laconie même autant de vivres et de munitions qu’ils en avaient besoin, ayant peu de chemin à faire pour retourner chez eux et pour en faire transporter des provisions ; mais, dès qu’ils voulurent équiper des flottes et porter la guerre avec leur infanterie hors du Péloponnèse, alors ils s’aperçurent que ni leur monnaie de fer, ni l’échange annuel des fruits qui avait été établi par Lycurgue, ne pouvait leur suffire, et que, sans une monnaie commune et des richesses étrangères, ils ne pouvaient rien entreprendre. Ce fut ce qui les obligea à mendier les secours des Perses, à lever des impôts sur les Péloponnésiens, et à mettre à contribution tous les Grecs ; persuadés que, s’ils s’en tenaient aux lois de Lycurgue, ils ne viendraient jamais à bout de subjuguer les Grecs, et ne manqueraient pas d’échouer dans toutes leurs entreprises. Mais pourquoi, dira-t-on, cette digression ? Pour faire voir que le gouvernement institué par Lycurgue se suffisait à lui-même tant qu’il ne s’agissait que de la conservation de l’état et de la défense de la liberté ; car il faut convenir avec ceux qui louent et approuvent ce gouvernement, qu’il n’y en a point et qu’il n’y en a jamais eu qui lui soit préférable. Mais on doit aussi tomber d’accord que, si l’on ambitionne de s’agrandir, de se faire respecter, de commander à un peuple nombreux, d’avoir sous sa domination un plus grand nombre de sujets, et d’attirer sur soi tous les regards ; on doit, dis-je, avouer que ce gouvernement est imparfait, et que celui des Romains l’emporte de beaucoup pour la force et la facilité d’étendre ses conquêtes. Ce qui s’est passé jusqu’à présent dans l’un et