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POLYBE, LIV. VIII.

FRAGMENS
DU

LIVRE HUITIÈME.


I.


En quels cas il est pardonnable ou non de se fier à certaines personnes. — Archidamus, roi de Lacédémone, Pélopidas de Thèbes, Cnéius Cornélius, sont blâmables de l’avoir fait. — Achéus fut aussi surpris, mais on ne peut lui en faire un crime.


Ce serait une chose trop hasardeuse, que de décider en général si l’on doit blâmer ceux qui se sont fiés à certaines personnes, ou si l’on doit leur pardonner de l’avoir fait : la raison en est, qu’il arrive souvent qu’après avoir pris toutes les précautions raisonnables, on ne laisse pas d’être trompé ; car il y a des hommes contre la mauvaise foi desquels toutes les lois du monde ne mettraient pas à couvert. Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’assurer qu’il est des temps et des circonstances où l’on doit blâmer les chefs qui se fient à certains hommes, et d’autres où la justice demande qu’on leur pardonne. Éclaircissons ce fait par des exemples.

Archidamus, roi des Lacédémoniens, s’était retiré de Sparte, parce que l’ambition de Cléomène lui était suspecte ; mais peu de temps après, s’étant laissé persuader, il revint et se remit entre les mains de son rival. Il en fut puni par la perte de sa dignité et de la vie, sans qu’aucune raison puisse justifier sa crédulité aux yeux des siècle futurs ; car, les choses étant au même état qu’elles étaient quand il se retira, et l’ambition de Cléomène n’ayant fait que s’accroître, était-il probable qu’il pût éviter de périr en se fiant à des gens à la fureur desquels il n’était échappé que par une espèce de miracle ?

Pélopidas de Thèbes, connaissant la scélératesse du tyran Alexandre, et persuadé de cette maxime, que tout tyran regarde comme ses plus grands ennemis ceux qui prennent la défense de la liberté publique, engagea Épaminondas à prendre les armes pour défendre non-seulement la république de Thèbes, mais encore toutes les autres de la Grèce. Malgré cela, et quoiqu’il fût venu en Thessalie pour abattre et détruire la tyrannie d’Alexandre, ayant eu la faiblesse d’accepter deux fois les fonctions d’ambassadeur auprès de ce tyran, il tomba en sa puissance, nuisit par là beaucoup aux intérêts des Thébains, et, pour s’être fié témérairement à ceux-là même dont il devait le plus se défier, il détruisit d’un coup toute la gloire qu’il s’était précédemment acquise par ses belles actions. Le consul Cnéius Cornelius fit la même faute pendant la guerre de Sicile. On pourrait citer quantité d’exemples semblables, qui font voir combien sont blâmables ceux qui, sans discernement, s’abandonnent à la bonne foi de leurs ennemis.

On ne doit pas en user de même à l’égard de ceux qui prennent toutes les précautions qu’il est raisonnablement permis de prendre ; car, ne s’en fier absolument à personne, c’est ne vouloir jamais terminer les affaires. On n’est donc pas coupable lorsqu’on se risque après s’être assuré tous les gages