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POLYBE, LIV. VIII.

ce crime : Aratus, qui n’avait confié ce secret à personne, ne put le cacher à un domestique fidèle et affectionné qui l’avait secouru avec beaucoup de soin et de zèle pendant sa maladie ; un jour que Céphalon (c’était le nom de ce domestique) avait aperçu contre la muraille un crachat mêlé de sang, et l’avait fait remarquer à son maître : « Telle est, dit Aratus, la récompense de l’amitié que j’ai eue pour Philippe. » Tel est le grand, l’admirable effet de la modération, que celui qui est victime d’une action criminelle en a plus de honte que celui même qui en est auteur ! Et c’est ce que fit alors Aratus, qui, après avoir partagé avec Philippe les périls et la gloire de tant d’exploits, en fut si mal récompensé. Ainsi mourut Aratus, que les Achéens, par reconnaissance pour les bienfaits infinis qu’ils en avaient reçus, avaient mis à leur tête, et à qui ils avaient confié le timon de leur république. Ils lui rendirent après sa mort les honneurs qu’ils lui devaient ; car on lui décerna des sacrifices et les honneurs que méritent les héros ; on fit, en un mot, tout ce qu’il fallait pour consacrer sa mémoire à l’immortalité. De sorte que, s’il reste quelque sentiment aux morts, il n’y a pas lieu de douter qu’Aratus n’ait vu avec plaisir la manière dont les Achéens reconnaissaient les tourmens et les fatigues qu’il avait supportés pour eux. (Dom Thuillier.)


Prise de Lisse et de la citadelle par Philippe.


Il y avait long-temps que Philippe convoitait Lisse et sa citadelle, et qu’il pensait sérieusement à s’en rendre maître. Il partit enfin à la tête d’une armée, et, après avoir marché deux jours et traversé les défilés, il campa le long de l’Ardaxane assez près de la ville. Mais comme l’art et la nature avaient concouru à fortifier l’enceinte de cette place, tant du côté de la mer, que du côté de la terre, et que la citadelle, qui n’était pas loin de la ville, paraissait être d’une hauteur et d’une force à ne craindre aucun assaut, il perdit toute espérance d’emporter celle-ci, et se borna à n’attaquer que la ville. Entre Lisse et le pied de la montagne où est la citadelle, est un espace tout à fait propre à livrer une attaque. Là Philippe résolut de faire une attaque simulée, et de saisir le moment favorable pour mettre à exécution un stratagème qu’il imagina. Il donna aux Macédoniens un jour entier pour se reposer ; et après les avoir exhortés à se conduire avec courage, il cacha avant le jour la plus grande et la meilleure partie de ses troupes légères dans des vallons boisés qui étaient du côté des terres ; au dessus de l’espace dont nous avons parlé, et le jour suivant, il mena ses soldats pesamment armés avec le reste de ses troupes légères, de l’autre côté de la ville en côtoyant la mer. Puis ayant fait le tour de la ville, et étant revenu à l’endroit dont nous avons parlé, alors on ne douta point qu’il ne fît attaquer la ville par là.

Sur l’avis qu’on avait eu de l’arrivée de Philippe, il s’était assemblé, de toute l’Illyrie, un grand nombre de troupes dans Lisse. Dans la citadelle, que l’on croyait assez forte d’elle-même, on n’avait mis qu’une garnison médiocre. Dès que les Macédoniens approchèrent, les assiégés, comptant sur leur nombre et leurs fortifications, sortirent en foule de la ville. Le roi avait posté ses soldats pesamment armés dans les lieux plats et unis, et avait donné ordre à ses troupes légères d’avancer vers les hauteurs, et d’en venir courageusement