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POLYBE, LIV. VIII.

moment environné de tous côtés ; ses ennemis se rendent maîtres de lui, et le conduisent sur-le-champ à Antiochus.

Ce prince attendait, rêveur et inquiet, l’issue de l’entreprise. Il avait congédié ses convives, et restait seul, et privé du sommeil dans sa tente, avec deux ou trois de ses gardes. Quand la troupe de Cambyle fut entrée, et qu’elle eut assis contre terre Achéus, lié et garrotté, ce spectacle lui interdit tellement la parole, qu’il fut long-temps sans pouvoir proférer un seul mot. Il fut si sensiblement touché de ce spectacle, qu’il ne put retenir ses larmes. Peut-être se représentait-il alors combien il est difficile de se mettre à l’abri des coups imprévus de la fortune. Cet Achéus, qui était fils d’Andromaque, frère de Laodice, femme de Seleucus, qui avait épousé Laodice, fille du roi Mithridate, qui avait régné sur tout le pays d’en deçà du mont Taurus, que ses troupes et celles de ses ennemis croyaient en sûreté dans la place la plus forte de l’univers, cet Achéus était là assis contre terre, au pouvoir de ses ennemis les plus acharnés, sans que personne connût alors cette trahison, excepté ceux qui en étaient les auteurs. Le lendemain, au point du jour, quand les courtisans se furent assemblés suivant l’usage dans la tente du roi, et qu’ils aperçurent Achéus, sa vue produisit sur eux le même effet que sur le roi ; à peine osèrent-ils en croire leurs propres yeux. On délibéra ensuite, pour savoir quels supplices on ferait souffrir à cet infortuné prince. Il fut conclu qu’après avoir été d’abord mutilé, il aurait la tête tranchée et cousue dans une peau d’âne, et que le reste de son corps serait pendu à un gibet. Cette exécution causa une si grande surprise et une si grande consternation dans l’armée, que Laodice, qui savait seule que son mari était sorti de la citadelle, conjectura son sort en voyant du haut des remparts la confusion et le trouble qui régnaient parmi les soldats. Un héraut étant venu ensuite apprendre à Laodice le sort de son mari, et lui commander de ne se plus mêler des affaires et de sortir de la citadelle, la garnison ne répondit d’abord que par des larmes et des gémissemens inexprimables, non tant à cause de l’amour qu’ils avaient pour Achéus, que parce qu’ils ne s’attendaient à rien moins qu’à un événement si extraordinaire. Après les pleurs, ce fut un embarras extrême de savoir quel parti on prendrait. Antiochus, après la mort d’Achéus, pressa la citadelle sans relâche, persuadé que quelque occasion se présenterait d’y entrer, et que ce serait surtout la garnison qui la lui ferait naître. C’est ce qui ne manqua pas d’arriver. Une sédition s’étant élevée parmi les soldats, il se forma deux partis, l’un pour Ariobaze, l’autre pour Laodice. Et comme ils se défiaient l’un de l’autre, ils ne furent pas long-temps sans se rendre à Antiochus, eux et la citadelle. Ainsi périt Achéus, qui, après avoir vainement pris toutes les précautions que la raison réclame pour se défendre contre la perfidie, laisse deux grandes leçons à la postérité : la première, qu’il ne faut ajouter foi facilement à personne ; l’autre, que l’on ne doit point s’enorgueillir de la prospérité, mais bien se persuader qu’étant hommes, nous devons nous attendre à tout ce qui peut arriver aux hommes. (Dom Thuillier.)


VI.


Cavarus, chef des Gaulois dans la Thrace.


Cavarus, chef des Gaulois qui habitaient la Thrace, pensait noblement et avait des sentimens dignes d’un roi ; il