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POLYBE, LIV. IX.

la gravité des mœurs et la noblesse des sentimens. Au reste, je souhaite que les conquérans à venir apprennent par ces réflexions à ne pas dépouiller les villes qu’ils se soumettent, et à ne pas faire des calamités d’autrui l’ornement de leur patrie. (Dom Thuillier.)


IV.


Affaires d’Espagne.


Les chefs des Carthaginois, après avoir triomphé de leurs ennemis, ne purent triompher d’eux-mêmes. Pendant qu’on les croyait en guerre avec les Romains, ils se faisaient la guerre les uns aux autres. Carthage était désolée par des séditions causées par l’ambition et l’avarice innées aux Carthaginois. Asdrubal, fils de Giscon, abusa de sa puissance au point d’exiger une forte somme d’argent d’Indibilis, le plus fidèle allié qu’eussent les Carthaginois, qui, pour servir leur cause, s’était laissé chasser de son trône, où ils le rétablirent par reconnaissance. Ce prince, comptant que la république, en cette occasion, aurait égard à son ancien attachement pour elle, ne se mit pas en peine d’exécuter l’ordre d’Asdrubal ; mais celui-ci, pour se venger, inventa une calomnie atroce contre lui, et le força à donner ses filles en ôtages. (Excerpta Valesian.) Schweigh.


V.


Connaissances nécessaires à un général d’armée.


Tout ce qui concerne la guerre ne doit s’entreprendre qu’après beaucoup de réflexions. On peut y réussir dans tous ses projets, lorsqu’on se conduit avec prudence. Il y a deux sortes d’actions militaires : les unes se font à découvert et par la force, les autres par ruse et selon l’occasion. Celles-ci sont en beaucoup plus grand nombre que les autres ; il ne faut que lire l’histoire pour s’en convaincre. De celles qui se sont faites par occasion, on en trouve beaucoup plus qui ont été manquées que de celles qui ont eu un heureux succès. Il est aisé d’en juger par les événemens. On conviendra encore que la plupart des fautes arrivent par l’ignorance ou la négligence des chefs. Voyons de quelle manière on doit se conduire dans les opérations militaires.

Ce qui se fait à la guerre sans but et sans dessein ne mérite pas le nom d’opérations ; ce sont plutôt des accidens et des hasards, choses dont nous ne parlerons point, parce qu’elles ne sont fondées sur aucune raison solide. Il ne s’agit ici que des actions entreprises avec dessein.

Toute opération demande un temps fixe et déterminé pour la commencer, un certain espace de temps pour l’exécuter, un lieu, du secret, des signaux marqués, des personnes par qui et avec qui elle se fasse, et une manière de la faire. Quiconque aura bien rencontré dans toutes ces choses, ne manquera pas de réussir, mais l’omission d’une seule est capable de faire échouer tout le projet ; car tel est le sort des entreprises, une bagatelle, un rien peut les faire manquer, et toutes les mesures ensemble suffisent à peine pour leur donner un heureux succès. C’est ce qui doit engager les chefs à ne rien négliger dans ces sortes d’occasions.

La première et la principale de toutes les précautions, c’est le secret. Que jamais ni la joie de quelque bon succès inespéré, ni la crainte, ni la familiarité, ni l’affection, ne vous porte à vous ouvrir de votre dessein à des gens qui n’y doivent point avoir part ; que ceux-