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POLYBE, LIV. X.

pillage fut donné, et on cessa le massacre. La nuit venue, ceux qui avaient ordre de rester dans le camp, y restèrent. Le général et ses mille soldats, prirent leur logement dans la citadelle. Le reste reçut, des tribuns, l’ordre de sortir des maisons, et de rassembler par monceaux, sur la place, tout le butin qu’ils avaient fait et de passer la nuit auprès. Les troupes légères furent amenées du camp et postées sur la colline qui regarde l’orient. C’est ainsi que les Romains se rendirent maîtres de Carthage-la-Neuve.

Le lendemain, tout le butin que l’on avait fait, tant sur la garnison que sur les citoyens et les artisans, ayant été rassemblé sur la place publique, les tribuns le distribuèrent à leurs légions, selon l’usage établi chez les Romains. Or, telle est la manière d’agir de ce peuple, lorsqu’ils prennent une ville d’assaut. Chaque jour on tire, tantôt des légions en général, tantôt des cohortes en particulier, un certain nombre de soldats, selon que la ville est grande ou petite, mais jamais plus de la moitié. Les autres demeurent à leur poste, soit hors de la ville, soit au dedans, selon qu’il est besoin. Comme leur armée, pour l’ordinaire, est composée de deux légions romaines et d’autant d’alliés, quelquefois même de quatre légions, quoique rarement, toutes ces troupes se dispersent pour butiner, et on porte ensuite ce que l’on a pris chacun à sa légion. Le butin vendu à l’encan, ces tribuns en partagent le prix en parties égales, qui se donnent non-seulement à ceux qui sont aux différens postes, mais encore à ceux qui ont été laissés à la garde du camp, aux malades et aux autres qui ont été détachés pour quelque mission que ce soit ; et, de peur qu’il ne se commette quelque infidélité dans cette distribution du butin, on fait jurer aux soldats, avant qu’ils se mettent en campagne et le premier jour qu’ils sont assemblés, qu’ils ne mettront rien à part pour eux, et qu’ils apporteront fidèlement tout ce qu’ils auront pris, comme nous l’avons dit plus au long quand nous avons traité du gouvernement.

Au reste, par cet usage de partager l’armée et d’en employer une moitié au pillage, et de laisser l’autre à la garde des postes, les Romains se sont mis en garde contre les mauvais effets de la passion d’acquérir ; car l’espérance d’avoir part au butin, ne pouvant être frustrée à l’égard de personne, et étant aussi certaine pour ceux qui restent aux postes que pour ceux qui font le pillage, la discipline est toujours exactement gardée ; au lieu que, parmi les autres nations, faute d’observer cette méthode, il arrive souvent de grands désordres. Pour l’ordinaire, ce qui donne de la fermeté dans les peines de la vie et fait mépriser les dangers, c’est l’espérance du gain. Il n’est donc pas possible que, quand l’occasion de gagner quelques biens se présente, ceux qui restent dans le camp ou qui gardent quelque poste ne soient très-fâchés de la perdre, quand on a pour maxime, comme la plupart des peuples, que tout ce qui se prend appartient à celui qui a pris ; car alors un roi ou un général a beau ordonner avec soin que tout le butin que l’on fait soit apporté à une même masse, on ne manque pas de s’approprier tout ce que l’on a pu mettre de côté ; et, comme le plus grand nombre court à ce but, quand on ne peut réprimer cette ardeur, il y a beaucoup à craindre pour l’état. On a vu plus d’une fois des capitaines, qui, après avoir conduit leurs desseins avec beaucoup