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POLYBE, LIV. X.

l’autre ; la mauvaise intelligence qui régnait parmi les principaux officiers, et la disposition où ils étaient de ne le plus suivre. Il tremblait surtout que Scipion alors ne se présentât. Enfin, jugeant que bientôt ce consul se mettrait en marche, et se voyant abandonné des Espagnols, qui tous à l’envi étaient allés se joindre aux Romains, il crut ne pouvoir rien faire de mieux que de rassembler toutes ses forces et de livrer bataille aux ennemis. Sa raison était que si le bonheur voulait qu’il fût vainqueur, il pourrait tranquillement délibérer sur ce qu’il aurait à faire dans la suite, et que, s’il était vaincu, il se retirerait dans les Gaules avec ceux qui se seraient sauvés de la mêlée, et que, emmenant de là une troupe de Barbares, il passerait en Italie pour secourir Annibal son frère, et partager ses espérances. Pendant qu’Asdrubal méditait ce projet, C. Lélius arriva à Rome, et instruisit Scipion des volontés du sénat. Aussitôt le consul fit sortir ses troupes de leurs quartiers, et rencontra sur sa route les Espagnols, qui venaient à lui avec beaucoup de joie et d’empressement.

Indibilis entre autres, qui lui avait déjà auparavant envoyé de ses nouvelles, le voyant approcher, sortit du camp et le vint joindre avec ses amis. Dans l’entretien qu’il eut avec Scipion, il lui parla de l’union qu’il avait eue avec les Carthaginois, des services qu’il leur avait rendus, de la fidélité qu’il leur avait gardée, des injustices qu’ils lui avaient faites, des mauvais traitemens qu’il en avait reçus, et le pria d’être juge entre les Carthaginois et lui ; que si c’était à tort qu’il se plaignait d’eux, cela devait faire conclure à Scipion, qu’il ne serait pas plus fidèle aux Romains ; que si au contraire il ne les avait quittés que parce qu’il y avait été comme forcé par la manière outrageante dont ils l’avaient traité, il devait espérer qu’après avoir embrassé le parti des Romains, il aurait pour eux un attachement inviolable. Il dit encore quantité de choses sur ce sujet ; après quoi Scipion, prenant la parole, répondit qu’il ne doutait nullement de sa sincérité ; qu’il ne voulait d’autre preuve du mauvais procédé des Carthaginois à l’égard des autres Espagnols, que l’insolence dont ils s’étaient rendus coupables envers sa femme et ses filles qu’ils avaient prises en ôtage : au lieu que lui, qui ne les avait pas à ce titre, mais comme prisonnières et esclaves, les avait gardées avec autant de soin qu’il aurait fait lui-même, lui qui était leur père. Indibilis témoigna qu’il en était persuadé, se prosterna devant lui et lui donna le nom de roi. Tous ceux qui étaient présens applaudirent à ce mot, mais Scipion se rejeta et se contenta de leur dire qu’ils ne craignissent rien, et qu’ils recevraient de la part des Romains toutes les marques d’amitié qu’ils pourraient souhaiter ; et sur-le-champ il remit entre leurs mains leurs femmes et leurs filles. Le lendemain on fit un traité, dans lequel on convint qu’ils marcheraient sous les ordres des officiers romains, et qu’ils obéiraient à tous leurs ordres. Ensuite ils retournèrent au camp des Carthaginois, où ayant pris ce qu’ils avaient de troupes, ils revinrent vers Scipion, joignirent leurs tentes aux siennes, et marchèrent avec lui contre Asdrubal.

Ce général des Carthaginois campait alors dans la plaine de Castulon vers la ville de Becule, assez près des mines d’argent qui sont là. Averti de l’approche des Romains, il s’alla poster dans un endroit où, couvert par ses derrières d’une bonne rivière, il