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POLYBE, LIV. X.

leur ordonnait de ne le traiter que de général.

Qui n’admirera pas ici la grandeur d’âme de ce consul ? Il est encore fort jeune, et la fortune le favorise tellement, que tous ceux à la tête desquels il se trouve, se portent d’eux-mêmes à le traiter de roi ; cependant il ne perd pas de vue ce qu’il est, et rejette loin le titre flatteur dont on veut l’honorer. Mais cette grandeur d’âme surprendra bien davantage, si l’on jette les yeux sur les derniers temps de sa vie ; car après les exploits qu’il avait faits en Espagne, après avoir dompté les Carthaginois, réduit sous la puissance de sa patrie la plus grande et la plus belle partie de l’Afrique, depuis les autels de Philène jusqu’aux colonnes d’Hercule ; après avoir conquis l’Asie, vaincu les rois des Assyriens, assujetti aux Romains la plus grande et la plus considérable partie de l’univers, combien d’occasions de se faire roi la fortune ne lui a-t-elle pas données ? On peut dire qu’il n’avait qu’à choisir le pays qui lui plaisait le plus. Une fortune si rapide et si constante, qui était capable d’inspirer un orgueil excessif, je ne dis pas seulement à un homme, mais à une divinité, s’il est permis de s’exprimer ainsi, ne tenta point Scipion. Il était si fort au dessus des autres hommes par sa grandeur d’âme, qu’il n’eut que du mépris pour la souveraineté, bien cependant au-delà duquel on n’ose rien demander aux dieux. Il préféra sa patrie et la fidélité qu’il lui devait, à une puissance si éclatante et si heureuse.

Pour revenir à mon sujet, Scipion, ayant séparé les Espagnols du reste des prisonniers, les envoya tous sans rançon dans leur pays. Il fit présent à Indibilis de trois cents chevaux qu’il lui ordonna de choisir ; le reste, il le donna à ceux qui n’en avaient point. Il passa ensuite dans le camp des Carthaginois, à cause des avantages de sa situation, et y resta pour y attendre les autres généraux des Carthaginois ; et, après avoir envoyé quelques troupes sur les Pyrénées pour y observer les démarches d’Asdrubal, l’été étant sur sa fin, il se retira à Taragone, et y fit prendre à ses troupes leurs quartiers d’hiver. (Dom Thuillier.)


VII.


Expédition de Philippe contre Attalus.


Les Étoliens, fondant de grandes espérances sur l’arrivée des Romains et du roi Attalus qui marchait à leurs secours, jetaient l’épouvante parmi tous les Grecs et leur faisaient la guerre par terre, pendant que P. Sulpicius et Attalus la faisaient par mer. C’est ce qui porta les Achéens à venir prier Philippe de les secourir, parce qu’ils ne craignaient pas seulement les Étoliens, mais encore Machanidas qui commandait une armée sur les frontières des Argiens. Les Béotiens, menacés par la flotte des ennemis, lui demandèrent aussi un chef et des troupes. Ceux qui implorèrent son secours avec le plus d’instances furent les Eubéens ; les Acarnaniens firent les mêmes prières ; il vint encore des ambassadeurs de la part des Épirotes. Le bruit aurait aussi que Scerdilaïdas et Pleuratus mettaient des troupes en campagne, et que les Thraces limitrophes de la Macédoine, et surtout les Mèdes, avaient dessein de se jeter dans ce royaume, pour peu que Philippe s’en éloignât. De plus les Étoliens s’étaient emparés du défilé des Thermopyles, l’avaient fortifié de fossés et d’un retranchement, et y avaient mis une forte garde, se flattant par là de fermer le passage à Philippe, et de