Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/744

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
736
POLYBE, LIV. XI.

cours flatteur qui serait suivi de votre ruine entière et de celle de tout le reste des Grecs. Souffrez donc que je vous mette devant les yeux l’erreur où vous êtes.

« Vous dites que vous ne prenez les armes contre Philippe que pour empêcher que les Grecs ne tombent sous sa domination ; mais cette entreprise ne tend qu’à perdre la Grèce et à la réduire en servitude : les conditions du traité que vous avez fait avec les Romains, ne permettent pas d’en douter, conditions qui n’étaient d’abord qu’écrites, mais dont on voit aujourd’hui l’exécution. Dès le temps même qu’elle n’étaient qu’écrites, elles vous couvraient déjà de honte ; aujourd’hui qu’elles s’accomplissent, elles mettent au plus grand jour votre infamie. D’ailleurs, Philippe n’est ici qu’un vain nom et un pur prétexte ; car dans cette guerre il ne court aucun risque. Vos conventions ne portent préjudice qu’à ses alliés, aux peuples de la plupart du Péloponnèse, de la Béotie, de l’Eubée, de la Phocide, aux Locriens, aux Thessaliens et aux Épirotes, puisqu’elles portent : « Que les hommes et les bagages pris appartiendront aux Romains, et que les villes et les terres seront pour vous. » Après la prise d’une ville vous ne pourriez souffrir qu’on outrageât des citoyens libres ; vous auriez horreur de brûler des places que vous auriez conquises : une telle cruauté ne vous paraîtrait digne que des Barbares ; et cependant vous faites un traité qui abandonne aux Barbares toute la Grèce, et la livre en proie aux outrages les plus honteux ! D’abord on ne soupçonnait pas qu’il dût avoir des suites si funestes ; mais ce qui vient d’arriver aux Orites et aux infortunés Éginètes met la chose en évidence. La fortune semble avoir pris plaisir à exposer en plein théâtre votre imprudence. Tel a été le commencement de votre guerre, tel jusqu’à présent en a été l’événement. Que devons-nous attendre de la fin, si tout vous réussit selon vos souhaits, sinon qu’elle sera l’époque malheureuse des maux extrêmes dont toute la Grèce sera accablée ? Car, quand les Romains auront une fois mis fin à leur guerre d’Italie, ce qui ne peut pas tarder long-temps, Annibal étant déjà resserré dans un coin du Brutium, il est hors de doute qu’ils ne manqueront pas de venir avec toutes leurs forces se jeter sur la Grèce, en apparence pour vous apporter du secours, mais au fond pour en grossir le nombre de leurs conquêtes. Si, après s’en être rendus les maîtres, ils nous traitent favorablement, ils remporteront, tout l’honneur et toute la reconnaissance du bienfait ; si, au contraire, ils usent contre nous du droit de la guerre à la rigueur, ils s’enrichiront des dépouilles de ceux qu’ils auront tués et réduiront les autres à leur obéissance. Vous prendrez alors les dieux à témoin, et ni dieu ne voudra, ni homme ne pourra vous secourir.

« Voilà, Étoliens, ce que vous deviez prévoir dès le commencement : rien n’était plus digne de vous ; mais, puisqu’il y a plusieurs choses, dans l’avenir, où il n’est pas possible de pénétrer, au moins aujourd’hui que vous voyez les maux que vous causez, prenez de plus sages mesures pour éviter ceux qui suivront. Pour nous, nous n’avons rien oublié de ce que de vrais amis devaient dire ou faire au sujet des conjonctures présentes, et nous vous avons dit librement ce que nous pensions de l’avenir. Il ne nous reste plus qu’à vous exhorter et à vous prier de ne pas vous envier à vous-mêmes ainsi qu’à toute la Grèce la liberté et la vie. »