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POLYBE, LIV. XI.

posée de la cavalerie des Achéens qu’Aristenète commandait, et la gauche de tout ce qu’il y avait de mercenaires qui étaient disposés en plusieurs rangs sans intervalle. Ce fut à la tête de ceux-ci que se mit Philopœmen.

L’heure du combat étant proche et les ennemis en présence, Philopœmen parcourant les intervalles de la phalange, encouragea ses soldats en peu de paroles énergiques, et propres à leur faire comprendre toute l’importance du combat qu’ils allaient livrer. La plupart même ne furent pas entendues ; car ses soldats l’aimaient tant et avaient tant de confiance en lui, qu’ils s’enthousiasmèrent d’eux-mêmes, que leur courage s’exalta, et qu’avec une espèce de transport ils pressèrent leur général de les mener à la charge. Philopœmen tâchait de leur faire entendre que le temps était venu où leurs ennemis allaient être réduits à une honteuse servitude, et eux rendus à une liberté glorieuse et à jamais mémorable.

Machanidas semble d’abord vouloir attaquer l’aile droite avec sa phalange disposée en colonne ; mais quand il est plus proche, dans une distance cependant convenable à son dessein, il tourne tout à coup à droite, puis, déployant son armée, donne à sa droite un front égal à la gauche des Achéens, et poste devant elle les catapultes à quelque distance les unes des autres. Philopœmen vit bien que son but n’était autre que de lancer des pierres sur les sections de la phalange, et d’y jeter le désordre ; c’est pourquoi il ne lui en donna pas le temps, mais fit commencer vigoureusement le combat par les Tarentins vers le temple de Neptune, pays plat et comme fait exprès pour la cavalerie. D’après ce début de l’action, Machanidas fut obligé de faire la même chose et de faire charger ses Tarentins. Le premier choc fut violent, les troupes légères étant venues des deux armées peu après pour les soutenir, en un moment on vit tous les mercenaires engagés de part et d’autre ; et comme dans cette mêlée on se battait d’homme à homme, le combat fut fort long-temps douteux. On ne pouvait pas même, parmi le reste des troupes, distinguer de quel côté volait la poussière, parce que les combattans couraient de part et d’autre, et avaient quitté les postes qu’ils tenaient au commencement. Cependant les étrangers qui combattaient pour le tyran eurent l’avantage ; leur nombre et l’adresse à manier leurs armes qu’une grande habitude leur avait acquise, l’emporta.

Il n’est ni difficile de voir la raison pour laquelle il en arriva ainsi dans cette circonstance, ni pourquoi il en arrive presque toujours ainsi ; car autant les citoyens d’une république libre sont dans un combat supérieurs aux sujets d’un tyran, autant les mercenaires qui sont à la solde des tyrans sont au-dessus de ceux qui se mettent au service des républiques. C’est que les soldats républicains combattent pour faire triompher la liberté, et les sujets d’un tyran pour faire triompher la servitude, et que les mercenaires à la solde d’une république ne sont animés que par l’espérance du salaire dont on est convenu ; au lieu que les autres, s’ils manquent à leur devoir, courent risque de n’être plus employés ; car un peuple libre, après la défaite des ennemis de sa liberté, ne se sert point de mercenaires pour la conserver. Un tyran, au contraire, a d’autant plus besoin d’eux qu’il aspire à plus de conquêtes ; plus il y a de gens qui souffrent de ses injustices, plus il a d’embûches à craindre. En un mot, la sûreté des tyrans est tout entière fondée sur le zèle et les forces

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