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beaucoup près, dans une proportion aussi exacte. Peut-être cette arme avait-elle souffert pendant le cours de la campagne, ou bien l’autre consul, en ramenant à Rome la plus grande partie de l’armée d’Afrique, reçut-il l’ordre de ne laisser qu’un petit nombre de cavaliers.

Quoi qu’il en soit, le proconsul jeta tous ses vélites en avant, sur un seul front, et il en fit une espèce de rideau derrière lequel vint s’établir son infanterie pesante. Elle se plaçait toujours sur trois lignes bien distinctes, hastaires, princes, triaires ; et chaque ligne contenait, par légion, dix manipules de chacun de ces trois ordres de combattans.

Mais afin de donner à son corps de bataille moins de front et plus de profondeur, Régulus doubla les manipules de chaque légion en les faisant passer à la queue l’un de l’autre, hastaires contre hastaires, princes contre princes, triaires contre triaires, et il renversa l’ordre de ces manipules, dont la disposition habituelle était l’échiquier. Ces corps, placés bout à bout produisirent plusieurs colonnes séparées par des intervalles deux fois plus grands qu’ils ne l’étaient ordinairement, afin d’égaler le front de l’infanterie carthaginoise. La faible cavalerie des Romains couvrit les deux ailes.

Polybe dit que la disposition de Régulus était bonne contre les éléphans, mais qu’elle ne valait rien contre la cavalerie ; et il paraît assez que le proconsul ne devina rien de l’effet que cette cavalerie nombreuse pouvait produire en rase campagne ; encore moins pénétra-t-il le génie de Xanthippe, malgré l’art assez évident avec lequel son ordre de bataille était indiqué.

Cet habile Lacédémonien vit la victoire assurée dans la longueur monstrueuse du flanc romain, dont chaque colonne isolée était incapable de soutenir l’effort de sa cavalerie, sans faire entièrement à droite ou à gauche, et changer ainsi le front en flanc, ce qui devait donner beau jeu à la phalange.

Les deux armées étant ainsi rangées, Xanthippe commença l’attaque par ses éléphans et sa cavalerie. Les vélites se détachèrent aussitôt, et les colonnes se mirent en mouvement ; mais les éléphans du centre s’étant avancés à trop grands pas, et ceux de la droite, gênés peut-être par la cavalerie qui se portait en avant, ayant ralenti leur marche en se serrant sur le centre, le petit corps d’étrangers qui touchait à la phalange, resta un instant à découvert. Les dernières colonnes de la gauche des Romains passèrent entre ces éléphans et la cavalerie, et fondirent sur ces étrangers qui furent bientôt rompus.

Les vélites cependant étaient écrasés par les éléphans qui marchaient au-devant des colonnes et y portaient la confusion. Elles se ralliaient, non sans peine, lorsqu’elles se virent obligées de s’arrêter pour repousser la cavalerie carthaginoise, déjà revenue de sa poursuite contre la cavalerie romaine qu’elle avait emportée dès la première charge.

Malgré tant de désavantages, les Romains, délivrés à la fin des éléphans et des vélites, poussèrent en avant avec une grande résolution. Mais la vitesse de la marche dérangeant l’ordre des rangs et des files, et la cavalerie africaine, secondée par les troupes légères, inquiétant les flancs et la queue de l’armée romaine, il n’y eut que les têtes des colonnes qui heurtèrent la phalange, et l’on pouvait prévoir qu’elles s’y briseraient infailliblement.

Les légionnaires qui voulurent s’opiniâtrer à percer, périrent les armes à la main ; la cavalerie cerna les autres ;