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POLYBE, LIV. XIII.


II.


Franchise et droiture des Achéens dans les affaires publiques. — Telle était aussi autrefois la manière des Romains.


Quoique la fraude et la tromperie dans le maniement des affaires publiques ne soient pas dignes d’un roi, on a cependant vu des hommes qui ne se faisaient nul scrupule de s’en servir ; il y en a même qui, à force de les voir en usage, ont été jusqu’à soutenir qu’elles étaient nécessaires. Les Achéens étaient fort éloignés de cette pensée ; loin de tromper leurs amis pour augmenter leur puissance, ils ne voulaient pas même que la tromperie eût la moindre part aux victoires qu’ils remportaient sur leurs ennemis. La victoire, selon eux, n’avait rien d’éclatant ni de solide, si l’on ne combattait ouvertement et si l’on ne devait ses succès à son courage. Ils s’étaient fait une loi de ne jamais cacher les traits dont ils devaient se servir, ni d’en lancer de loin, se persuadant que le seul combat légitime est celui qui se fait de près et de pied ferme. C’est pour cela qu’en guerre non-seulement ils s’avertissaient les uns les autres du combat qu’ils avaient résolu de se donner, mais encore du lieu où il se donnerait ; et aujourd’hui on ne fait aucun cas d’un général qui ne cache pas ses desseins. On voit encore chez les Romains quelques légères traces de cette ancienne manière de faire la guerre ; car ils la déclaraient à leurs ennemis ; ils se servaient rarement d’embuscades, et se battaient de près, et de main à main. Maintenant les choses sont bien changées. Il y a parmi les chefs une espèce d’émulation à se tromper les uns les autres, soit dans les affaires civiles, soit dans les militaires, et ce sont les excès où l’on tombe sur ce sujet qui m’ont fait faire ces réflexions. (Dom Thuillier)


Portrait d’Héraclide.


Philippe, comme pour donner à Héraclide un sujet de s’exercer, lui ordonna de chercher comment il pourrait nuire à la flotte des Rhodiens et la faire périr, et en même temps il envoya en Crète des ambassadeurs pour irriter les Crétois contre ce peuple, et les porter à lui déclarer la guerre, Héraclide, homme naturellement malfaisant, reçoit cet ordre avec joie. Il pense aux moyens de l’exécuter, met à la voile et arrive à Rhodes. Il était originaire de Tarente, né de parens du plus petit peuple, et qui gagnaient leur vie du travail de leurs mains. Il avait apporté en naissant toutes les dispositions imaginables pour devenir un grand scélérat. Dès sa plus tendre jeunesse il se livra à la plus infâme prostitution ; beaucoup d’esprit au reste, et une grande mémoire. Terrible à ceux qui lui étaient inférieurs, et osant tout contre eux ; bas et rampant à l’égard de ceux qui étaient au-dessus de lui. Accusé autrefois d’avoir voulu livrer Tarente aux Romains, il avait été envoyé en exil ; non pas qu’il eût aucune autorité dans sa patrie, mais parce qu’étant architecte, sous prétexte de réparer quelque brèche aux murailles de la ville, il avait trouvé le moyen de s’emparer des clefs de la porte d’où l’on passait dans les terres. Il se retira chez les Romains, et de là il écrivit à Tarente et à Annibal. Mais quand il se vit découvert, craignant les suites de sa trahison, il se réfugia chez Philippe, dont il gagna tellement la confiance, et auprès de qui il se mit en si grand crédit, qu’il fut presque cause de la