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POLYBE, LIV. XV.

cela s’étaient rendus pour ainsi dire les maîtres des rois qui successivement leur avaient confié le soin de leurs affaires. Aussi tout le monde fut-il surpris de son élévation, dont il ne fut redevable qu’à l’impuissance de régner où se trouvait Ptolémée Philopator. Après la mort de ce prince, quoiqu’il lui fût facile de se conserver dans son poste, il le perdit avec la vie et en très-peu de temps par sa lâcheté et son peu de vigueur.

On ne doit donc pas, dans une histoire, s’étendre sur des gens de cette espèce, comme on ferait pour un Agathocles, pour un Denys, ces deux tyrans de Sicile, et pour quelques autres qui se sont rendus célèbres par leurs grands exploits. Quoique Denys tirât son origine de la lie du peuple, et qu’Agathocles, potier par état, eût quitté jeune la roue, l’argile et la fumée, comme parle agréablement Timée, pour venir à Syracuse, tous deux, chacun en son temps, parvinrent à la dignité de tyrans de cette ville, qui, en grandeur et en richesses, n’avait pas alors son égale. Devenus ensuite rois de toute la Sicile, ils conquirent encore quelques parties de l’Italie. Agathocles poussa plus loin ses conquêtes ; il entra dans l’Afrique, et mourut enfin comblé d’honneurs et de prospérité. Scipion avait une si haute idée de ces deux tyrans, qu’interrogé quels hommes il croyait s’être le plus distingués par la science du gouvernement et par une hardiesse prudente et judicieuse, il répondit que c’étaient les deux Siciliens Agathocles et Denys. C’est sur des personnages de ce mérite qu’il faut arrêter ses lecteurs, leur faire envisager les vicissitudes de la fortune, et les porter à faire sur ces événemens des réflexions salutaires ; mais pour cet autre Agathocles dont nous parlions plus haut, ce serait lui faire trop d’honneur. C’est la raison pour laquelle je me suis étudié à raconter simplement la manière tragique dont il avait fini sa carrière. Une autre raison a été que l’unique avantage que l’on puisse procurer par le récit des événemens terribles, c’est d’en donner la connaissance. Une description trop longue, un tableau trop étudié de ces tristes objets, non-seulement est inutile, mais fait encore quelque peine aux spectateurs. Quand on veut instruire ou par les yeux ou par les oreilles, deux choses sont à considérer, le plaisir et l’utilité, et ces deux choses doivent être surtout le but de l’historien. Or, un détail trop étendu de ces sortes de faits n’est ni agréable ni utile : il n’est point utile, car il n’y a personne qui voulût imiter ce qui arrive contre la raison ; il n’est pas non plus agréable, car quel plaisir y a-t-il à voir des choses qui répugnent à la nature et aux notions ordinaires ? On a d’abord quelque envie de les voir ou de les entendre, pour s’assurer qu’elles sont possibles ; mais on s’en tient là, et on n’aime point à s’y arrêter long-temps. Que ce que l’on raconte soit donc propre, ou à reproduire quelque utilité, ou à faire quelque plaisir. Toute description exagérée et qui s’écarte de ce but, peut avoir lieu dans une tragédie, mais elle ne convient point du tout à l’histoire. Je ne pardonne ces exagérations qu’à des historiens qui n’ont jamais étudié la nature, et qui, ne sachant rien de ce qui s’est passé dans le reste de l’univers, s’imaginent que les événemens dont ils sont témoins, ou qui leur ont été racontés, surpassent tout ce qui est arrivé de plus extraordinaire et de plus admirable dans les siècles passés. C’est pour cela que, sans y penser, ils décrivent avec beaucoup d’emphase des faits qui ont déjà été décrits par d’autres, et qui