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POLYBE, LIV. XVI.

femmes dans le temple de Diane, et tous les enfans avec leurs nourrices dans le gymnase ; ensuite que l’on rassemblerait sur la place tout ce qu’il y avait dans la ville d’or et d’argent, et tout ce qu’on avait d’autres effets précieux dans la quadrirème des Rhodiens et dans la trirème de Cysicéniens. Cet avis ayant passé tout d’une voix, on tint encore une autre assemblée où l’on choisit cinquante des plus vieux et des plus graves citoyens, assez vigoureux cependant pour exécuter ce qui serait résolu, et on leur fit prêter serment en présence de tous les habitans, que dès qu’ils verraient l’ennemi maître de la muraille intérieure, ils égorgeraient les femmes et les enfans, mettraient le feu aux deux galères chargées des effets, et jetteraient dans la mer tout l’or et tout l’argent ramassé. Ensuite ayant appelé leurs prêtres, ils jurèrent tous de vaincre, ou de mourir les armes à la main ; et, après avoir immolé des victimes, ils obligèrent les prêtres et les prêtresses à prononcer, des autels, mille exécrations contre ceux qui manqueraient à leur serment. Cela fait on cessa de contreminer, et on prit la résolution, dès que la muraille serait tombée, de se porter sur la brèche et d’y combattre jusqu’à la mort.

Après cela ne peut-on pas dire que le désespoir des Phocéens et la fermeté des Acarnaniens sont au-dessous du courage que les Abydéniens témoignèrent en cette occasion ? Il est vrai que les Phocéens portèrent le même décret contre leurs familles, mais leurs affaires n’étaient pas si désespérées, puisqu’ils devaient combattre en bataille rangée contre les Thessaliens. Les Acarnaniens avaient aussi la même ressource, lorsque, apprenant que les Étoliens venaient les attaquer, ils firent un décret semblable à celui des Phocéens. Mais les Abydéniens étaient enveloppés de tous les côtés, et ne voyaient nul jour à se sauver, lorsqu’ils résolurent de mourir plutôt avec leurs femmes et leurs enfans, que de consentir à voir leurs femmes et leurs enfans tomber entre les mains de leurs ennemis. La fortune fut moins équitable à l’égard de ce peuple qu’elle ne l’avait été à l’égard des deux autres. Elle eut compassion de la mort de ceux-ci, rétablit leurs affaires, et par une victoire complète les délivra de leurs ennemis lorsqu’ils attendaient le moins une si grande faveur ; mais elle ne traita pas si favorablement les Abydéniens, car ils perdirent la vie, leur ville fut prise, et les enfans avec leurs mères furent la proie des Macédoniens. Voici comment la chose arriva. Après la chute de la muraille intérieure, les assiégés sur la brèche, fidèles à leur serment, combattaient avec tant de courage, que, quoiqu’à tout moment Philippe eût soutenu jusqu’à la fin du jour par des troupes fraîches celles qui étaient montées à l’assaut, lorsque la nuit sépara les combattans, il ne savait encore qu’espérer du succès de son siége. Les premiers Abydéniens qui se présentèrent sur la brèche en passant sur les corps morts ne se battaient pas seulement avec fureur, ne se servaient pas seulement de leurs épées et de leurs javelines, mais quand leurs armes avaient été rompues, ou qu’elles leur avaient été arrachées des mains, ils se jetaient à corps perdu sur les Macédoniens, renversaient les uns, brisaient les sarisses des autres, et, avec les morceaux, leur frappaient le visage et tout ce qu’ils trouvaient de leur corps à découvert, et les faisaient entrer en fureur. Quand la nuit mit fin au carnage, la brèche était toute couverte d’Abydéniens morts, et ce qui était échappé