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POLYBE, LIV. XVIII.

FRAGMENS
DU

LIVRE DIX-HUITIÈME.


I.


Réflexions de l’historien sur les pieux des Romains. — Deux batailles entre Philippe et Flaminius. — Observations sur la phalange macédonienne.


Flaminius ne pouvait découvrir au juste où les ennemis étaient campés ; mais comme il savait qu’ils étaient arrivés dans la Thessalie, il donna ordre aux troupes de couper des pieux pour s’en servir au besoin. Cet usage, qui chez les Romains est aisé à pratiquer, passa chez les Grecs pour impraticable. À peine dans les marches peuvent-ils soutenir leurs corps, pendant que les Romains, malgré le bouclier qu’ils portent suspendu à leurs épaules, et les javelots qu’ils tiennent à la main, se chargent encore de pieux, et ces pieux sont fort différens de ceux des Grecs. Chez ceux-ci les meilleurs sont ceux qui ont beaucoup de fortes branches tout autour du tronc. Les Romains, au contraire, n’en laissent que deux ou trois, tout au plus quatre, et seulement d’un côté. De cette manière, un homme peut en porter deux ou trois liés en faisceau, et l’on en tire beaucoup plus de service. Ceux des Grecs sont très-aisés à arracher. Si le pieu planté est seul, comme les branches en sont fortes et en grand nombre, deux ou trois soldats l’enlèveront fort facilement, et voilà une porte ouverte à l’ennemi ; sans compter que tous les pieux voisins seront ébranlés, parce que les branches en sont trop courtes pour être entrelacées les unes dans les autres. Il n’en est pas ainsi chez les Romains. Les branches sont tellement mêlées et insérées les unes entre les autres, qu’à peine peut-on distinguer le pied d’où elles sortent. Il n’est pas non plus possible de glisser la main entre ces branches pour arracher le pieu, parce que, serrées et tortillées ensemble, elles ne laissent aucune ouverture, et que, d’ailleurs, les bouts en sont soigneusement aiguisés. Quand même on pourrait les prendre, il ne serait pas facile d’en arracher le pied, et cela pour deux raisons : la première, parce qu’il entre si avant dans la terre, qu’il en devient inébranlable ; et la seconde, parce que par les branches ils sont tellement liés les uns avec les autres, qu’on ne peut en enlever un qu’on n’en enlève plusieurs. En vain deux ou trois hommes réuniraient leurs efforts pour l’arracher. Que si, cependant, à force de l’agiter et de le secouer, on vient à bout de le tirer de sa place, l’ouverture qu’il laisse est presque imperceptible. Trois avantages résultent donc de ces sortes de pieux : on les trouve en quelque endroit que l’on soit, ils sont faciles à porter, et c’est pour le camp une barrière sûre et qui ne peut être rompue aisément. À mon sens, il n’est pas de pratique militaire chez les Romains qui mérite plus qu’on l’imite et qu’on l’adopte.