Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/852

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
844
POLYBE, LIV. XVIII.

il n’y en eut qu’un petit nombre qui par la fuite put leur échapper.

Après le combat, où de tous les côtés la victoire s’était déclarée en faveur des Romains, Philippe se retira à Tempé. Le premier jour de sa retraite il arriva au lieu qu’on appelle la Tour d’Alexandre, et le lendemain à Gonnes, dans le voisinage de Tempé, où il s’arrêta pour y attendre ceux qui s’étaient sauvés de la défaite. Les Romains poursuivirent ces fuyards pendant quelque temps. Ensuite les uns dépouillèrent les morts, les autres rassemblèrent les prisonniers, la plupart se jetèrent sur le camp des ennemis et le pillèrent. Les Étoliens y étaient arrivés avant les Romains, qui, croyant être frustrés d’un butin qui leur appartenait, s’en plaignirent hautement au général. « Vous nous commandez, lui dirent-ils, de nous exposer aux dangers, mais le butin vous l’accordez à d’autres. » Ils retournèrent cependant au camp et y passèrent la nuit. Le lendemain, après avoir ramassé les prisonniers et le reste des dépouilles, on prit le chemin de Larisse. La perte des Romains, dans cette bataille, fut d’environ sept cents hommes. Les Macédoniens y perdirent treize mille hommes, dont huit mille restèrent sur le champ de bataille, et cinq mille furent faits prisonniers. Ainsi se termina la journée de Cynoscéphales.

Dans mon sixième livre j’ai promis de saisir la première occasion qui se présenterait de comparer ensemble les armes des Macédoniens et celles des Romains, l’ordre de bataille des uns et des autres, et de marquer en quoi l’un est supérieur ou inférieur à l’autre ; l’action que je viens de raconter m’offre cette occasion, il faut que je tienne ma parole.

Autrefois l’ordonnance des Macédoniens surpassait celle des Asiatiques et des Grecs. C’est un fait que les victoires qu’elle a produites ne nous permettent pas de révoquer en doute ; et il n’était pas d’ordonnance en Afrique ni en Europe qui ne le cédât à celle des Romains. Aujourd’hui, que souvent ces différens ordres de bataille se sont trouvés opposés les uns aux autres, il est bon de rechercher en quoi ils diffèrent et pourquoi l’avantage est du côté des Romains. Apparemment que quand on sera bien instruit sur cette matière, on ne s’avisera plus de rapporter le succès des événemens à la fortune, et qu’on ne louera pas les vainqueurs sans connaissance de cause, comme ont coutume de faire les personnes non éclairées ; mais qu’on s’accoutumera enfin à les louer par principes et par raison.

Je ne crois pas devoir avertir qu’il ne faut pas juger de ces deux manières de se ranger par les combats qu’Annibal a livrés aux Romains, et par les victoires qu’il a gagnées sur eux. Ce n’est ni par la façon de s’armer, ni par celle de se ranger, qu’Annibal a vaincu ; c’est par ses ruses et par sa dextérité. Nous l’avons fait voir clairement dans le récit que nous avons donné de ces combats. Si l’on en veut d’autres preuves, qu’on jette les yeux sur le succès de la guerre. Dès que les troupes romaines eurent à leur tête un général d’égale force, elles furent aussitôt victorieuses. Qu’on en croie Annibal lui-même, qui, aussitôt après la première bataille, abandonna l’armure carthaginoise, et qui, ayant fait prendre à ses troupes celle des Romains, n’a jamais discontinué de s’en servir. Pyrrhus fit encore plus, car il ne se contenta pas de prendre les armes, il employa les troupes mêmes d’Italie. Dans les combats qu’il donna aux Romains, il rangeait alternativement un de leurs