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POLYBE, LIV. XVIII.

ques jours de là vinrent, de la part de Philippe, trois ambassadeurs, savoir, Démosthène, Cycliadas et Limnée. Après une assez longue conversation qu’il eut avec eux en présence des tribuns, il se fit une trève de quinze jours, pendant laquelle il conçut le dessein d’aller trouver Philippe et de s’entretenir avec lui sur leurs affaires présentes. La douceur et les égards que Flaminius eut pour le roi de Macédoine dans cette occasion augmentèrent extrêmement les soupçons qu’on avait déjà formés contre ce général ; car la contagion des présens gâtaient toute la Grèce ; on y avait pour maxime que personne ne faisait rien pour rien, et comme cette maxime était surtout en crédit chez les Étoliens, ils ne pouvaient se persuader que Flaminius fût devenu ami de Philippe, sans que ce prince eût par des présens acheté son amitié. Ne sachant quelle était à cet égard la coutume des Romains, ils en jugeaient par eux-mêmes, et prétendaient que le roi de Macédoine, pour se tirer de l’embarras où il se trouvait, avait offert quelque grosse somme d’argent, et que Flaminius s’en était laissé éblouir.

Quant à moi, si j’avais à prononcer sur les Romains une opinion en général, et sur les temps passés, je n’hésiterais pas à affirmer que tous étaient incapables de se prêter à aucune action de ce genre, du moins qu’ils se sont montrés tels tant qu’ils sont restés fidèles aux mœurs et aux habitudes de leurs ancêtres, c’est-à-dire avant leurs guerres d’outre-mer. Pour le temps présent, je n’oserais pas sans doute donner indistinctement cet éloge à la totalité des citoyens, mais je ne crains pas de déclarer, en ce qui concerne plusieurs, que l’on doit mettre la plus grande confiance dans leur intégrité ; et pour que je ne paraisse pas donner mes éloges à des qualités qui n’existent pas, je ne citerai ici que deux exemples connus de tout le monde : Lucius Émilius, le même qui vainquit Persée, s’était emparé du royaume de Macédoine. Outre une immense quantité de meubles magnifiques et autres richesses, il trouva dans les trésors plus de six mille talens en argent et en or ; mais non-seulement il n’a rien désiré de ces trésors, il ne voulut pas même les regarder, et en confia l’administration à d’autres : et cependant, bien loin d’être dans l’opulence, il était lui-même dans un état réel de pauvreté. Étant venu, en effet, à mourir peu de temps après cette guerre, Publius Scipion et Quintus Maximus, ses fils, ayant voulu rendre à sa femme les vingt-cinq talens de sa dot, furent tellement embarrassés dans leurs finances, qu’ils ne purent s’acquitter qu’en vendant les meubles, les esclaves et quelques-uns des domaines. Pour être incroyable, le fait n’en est pas moins vrai. Quoique des inimitiés mutuelles ou des querelles de parti fassent que, sur beaucoup de questions, les Romains soutiennent des opinions diverses, cependant ce que j’ai dit sera avoué par tous, et il n’y a qu’à interroger, pour s’en convaincre, le premier Romain venu, à quelque famille ou à quelque parti qu’il appartienne. Cette même famille offre un second exemple du même désintéressement. Lorsque Publius Scipion, fils d’Émilius, et petit-fils adoptif de Publius Scipion, surnommé l’Ancien, s’empara de Carthage, ville regardée comme la plus opulente de l’univers, il se fit une loi de ne rien acheter de ce qui s’y trouvait, et de ne s’en rien attribuer sous quelque prétexte que ce fût : et cependant Publius n’était pas riche ; mais en vrai Romain, il avait été habitué à se contenter de peu. Non-seulement il s’abstint complètement de toucher au butin de Car-