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POLYBE, LIV. XVIII.

qu’on s’était proposée, il fallait sortir de tous les lieux et mettre en liberté toutes les villes où Philippe avait garnison. Cela ne laissait pas que d’avoir ses difficultés ; car ce qui regardait les autres villes avait déjà été agité à Rome par les dix commissaires, et ils avaient sur ce point reçu des ordres exprès du sénat. Mais à l’égard de Chalcis, de Corinthe et de Démétriade, comme on avait des précautions à prendre contre Antiochus, on leur avait donné pouvoir de disposer de ces trois villes selon qu’ils le jugeraient à propos, eu égard aux conjectures où ils se verraient ; car l’on ne doutait point qu’Antiochus ne se disposât depuis long-temps à fondre sur l’Europe. Enfin Flaminius gagna sur le conseil, que Corinthe serait mise en liberté et entre les mains des Achéens ; mais on retint l’Acrocorinthe, Démétriade et Chalcis.

On était alors au temps où les jeux Isthmiques devaient se célébrer, et l’attente de ce qui allait arriver y avait amené de presque toutes les parties de l’univers des personnes de la plus grande considération. Le traité de paix futur était là le sujet de toutes les conversations, et l’on en parlait différemment. Les uns disaient qu’il n’y avait nulle apparence que les Romains se retirassent de tous les lieux et de toutes les places qu’ils avaient conquises ; les autres, qu’ils sortiraient des places les plus célèbres, mais qu’ils garderaient celles qui, avec moins de nom, leur procureraient les mêmes avantages. Ils croyaient même les connaître, ces places, et les désignaient dans les conversations. Tout le monde était dans cette incertitude, lorsque, la multitude étant assemblée dans le stade pour le spectacle de la proclamation de la paix, un héraut s’avance, fait faire silence par une trompette, et publie à haute voix : « Le sénat romain et Titus Quintins consul, après avoir vaincu Philippe et les Macédoniens, mettent en liberté, sans garnisons, sans tribut, et laissent vivre sous leurs propres lois les Corinthiens, les Phocéens, les Locriens, les Eubéens, les Achéens Phthiotes, les Magnètes, les Thessaliens et les Perrhébiens. »

Le héraut n’eut pus plutôt prononcé les premières paroles, qu’il s’éleva un si grand bruit dans le peuple, que quelques-uns n’entendirent pas la suite, et que d’autres voulurent l’entendre une seconde fois. La plupart n’en croyaient pas leurs propres oreilles ; la chose leur paraissait si extraordinaire, qu’il leur semblait ne l’avoir entendue que comme en songe. Quelqu’un, plus impatient, cria qu’on fît revenir le héraut, que la trompette imposât silence et qu’on répétât le sénatus-consulte. Ce n’était pas tant, à mon avis, pour entendre que pour voir celui qui annonçait une nouvelle si difficile à croire. Le héraut reparaît, la trompette sonne, la nouvelle se republie, les applaudissemeus recommencent, et avec tant d’éclat, qu’il serait difficile aujourd’hui de donner une juste idée de cet événement. Quand le bruit eut cessé, les athlètes entrèrent dans la lice, mais on n’y fit aucune attention. Les uns s’entretenaient avec leurs voisins de ce qui venait de se passer, les autres en étaient profondément occupés, et semblaient être hors d’eux-mêmes. Après le spectacle, la foule transportée de joie s’approcha du consul pour le remercier. La presse était telle qu’il pensa en être étouffé. On voulait voir son visage, saluer le libérateur et toucher sa main. On lui jetait des couronnes et des guirlandes ; enfin, peu s’en fallut qu’il ne fût écrasé. Mais quelque éclatantes que fussent ces marques de reconnaissance,