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POLYBE, LIV. XX.

restait encore parmi eux quelque faible étincelle de l’ancienne vertu, quelques-uns portèrent ce joug avec impatience. On s’éleva vivement contre Ascondas et Néon, l’un aïeul, et l’autre père de Brachylles, lesquels étaient les plus ardens pour le parti des Macédoniens. Cependant la faction d’Ascondas l’emporta : on va voir comment.

Antigonus, après la mort de Démétrius, ayant été fait tuteur de Philippe, venait par mer à l’extrémité de la Béotie pour je ne sais quelles affaires. À la hauteur de Larymna, une tempête affreuse le surprit et jeta ses vaisseaux sur la côte, où ils restèrent à sec. Le bruit se répand aussitôt qu’Antigonus devait faire une descente dans la Béotie. Sur cette nouvelle, Néon prend toute la cavalerie, dont il était capitaine général, et la conduit de tous côtés pour empêcher l’irruption. Il arrive où était Antigonus, fort inquiet et fort embarrassé. Il était facile d’incommoder là les Macédoniens ; mais Néon, contre leur propre attente, les épargna. Les Béotiens lui en surent bon gré ; mais les Thébains le trouvèrent très-mauvais. Quand, à la faveur du flot, les vaisseaux d’Antigonus purent continuer leur route, il commença par remercier Néon de ne l’avoir pas attaqué dans l’état où il était, et passa ensuite en Asie. Il conserva le souvenir de ce bienfait. Après avoir dans la suite vaincu Cléomène et s’être rendu maître de Lacédémone, il fit Brachylles gouverneur de cette ville. Ce ne fut pas la seule faveur que reçut cette famille : tantôt Antigonus, tantôt Philippe lui fournissaient de l’argent, et l’appuyaient de leur protection. Avec ce secours, bientôt elle se mit au-dessus de tous les Thébains qui lui étaient contraires, et les obligea tous, à l’exception d’un très-petit nombre, à se ranger du côté de la Macédoine. Telle est l’origine et du crédit que la famille de Néon avait chez les Macédoniens, et des libéralités qu’elle en recevait.

Pour revenir à la Béotie, tout y était dans un si grand désordre que, pendant près de vingt-cinq ans, les tribunaux demeurèrent fermés, les contrats suspendus, les procès indécis. Les magistrats occupés, tantôt à ordonner des garnisons, tantôt à marcher à quelque expédition, ne trouvaient pas le moment d’écouter les différends des particuliers. Les coffres publics étaient spoliés par quelques chefs qui prenaient de quoi distribuer aux citoyens pauvres, pour s’attirer leurs suffrages et en obtenir les premières dignités ; et le peuple penchait d’autant plus en leur faveur, qu’à l’abri de ces magistrats, il espérait éviter les peines dues à ses crimes, n’avoir rien à craindre de ses créanciers, et tirer quelque argent du trésor public. Celui qui contribuait le plus à cette corruption était un certain Opheltas. Tous les jours il formait quelque nouveau projet qui paraissait utile pour le présent, mais dont les suites devaient être funestes à l’état. Il s’introduisit encore une coutume pernicieuse : les pères qui mouraient sans enfans ne laissèrent pas leurs biens à leur famille, comme il s’observait autrefois ; ils les léguèrent à leurs compagnons de table pour être dépensés en commun. Ceux même qui avaient des enfans consacraient la plus grande partie de leur succession à l’établissement de ces sortes de confréries. Il était beaucoup de Béotiens qui avaient en un mois plus de repas à prendre que le mois n’avait de jours. Les Mégariens se lassèrent enfin d’un gouvernement si pitoyable, et se réunirent à celui des Achéens qu’ils avaient quitté ; car, dès le temps d’Antigonus Gonatas, ils ne formaient qu’un état avec les Achéens ; ils ne s’en étaient même séparés, pour