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POLYBE, LIV. XXVI.

leur demandent rien que de juste et de raisonnable, ils ne font en cela que ce qu’il leur convient de faire ; mais lorsqu’on leur représente qu’entre les grâces qu’on veut obtenir, les unes passent leur pouvoir, les autres feraient déshonneur et un tort considérable à leurs alliés, ce n’est pas leur coutume de s’opiniâtrer et de forcer ces alliés à leur obéir. C’est aujourd’hui le cas où nous sommes. Faisons connaître aux Romains que nous ne pouvons exécuter leurs ordres sans violer nos sermens, sans aller contre les lois sur lesquelles notre ligue est établie, ils se relâcheront, sans doute, et conviendront que c’est avec juste raison que nous nous défendons de nous soumettre à ce qu’ils nous ordonnent. » Hyperbate et Callicrate furent d’un avis contraire. Selon eux, il fallait obéir, et il n’y avait ni loi, ni serment, ni traité qu’on ne dût sacrifier à la volonté des Romains. Dans ce partage de sentimens, il fut résolu qu’on députerait au sénat pour l’informer de ce que Lycortas avait exposé dans le conseil. Les ambassadeurs furent Callicrate Léontésien, Lysiade de Mégalopolis et Aratus de Sicyone, et on leur donna des instructions conformes à ce qui avait été délibéré.

Quand ces ambassadeurs furent arrivés à Rome, Callicrate, introduit dans le sénat, fit tout le contraire de ce qui lui avait été ordonné. Non-seulement il eut l’audace de blâmer ceux qui ne pensaient pas comme lui, mais il se donna encore la liberté d’avertir le sénat de ce qu’il devait faire. « Si les Grecs ne vous obéissent pas, pères conscrits, dit-il, si l’on n’a égard chez eux ni aux lettres ni aux ordres que vous leur envoyez, c’est à vous seuls que vous devez vous en prendre. Dans toutes les républiques il y a maintenant deux partis, dont l’un soutient qu’on doit se soumettre à ce que vous ordonnez, et que les lois, les traités, tout en un mot doit plier sous votre bon plaisir ; l’autre prétend que les lois, les sermens, les traités doivent l’emporter sur votre volonté, et ne cesse d’exhorter le peuple à s’y tenir inviolablement attaché. De ces deux partis, le dernier est le plus du goût des Achéens, et a le plus de pouvoir parmi la multitude. Qu’arrive-t-il de là ? Que ceux qui se rangent de votre côté sont en horreur chez le peuple, et que ceux qui vous résistent sont honorés et applaudis. Au lieu que si le sénat se déclarait tant soit peu pour ceux qui prennent à cœur ses intérêts, bientôt tous les chefs des républiques seraient pour les Romains, et le peuple intimidé ne tarderait pas à suivre leur exemple. Mais si vous regardez cela comme une chose de peu d’importance, attendez-vous à voir tous ces chefs se tourner contre vous. La raison, je vous l’ai dite, c’est que ce parti a pour lui la multitude, et qu’il y est incomparablement plus considéré que l’autre. Aussi voyons-nous des gens qui, n’ayant pour tout mérite qu’une opposition invincible à vos ordres et un prétendu zèle pour la défense et la conservation des lois de leur patrie, sont parvenus aux plus éminentes dignités de leur république. Continuez, pères conscrits, vous ne pouvez mieux vous y prendre, si vous ne vous embarrassez pas beaucoup que les Grecs vous soient soumis. Mais si vous voulez qu’ils exécutent vos ordres et qu’ils reçoivent vos lettres avec respect, songez-y sérieusement. Sans cela je puis assurer que vous les trouverez toujours rebelles. Jugez de leur résistance future par celle qu’ils viennent de faire. Pendant la guerre de Messène,