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POLYBE, LIV. XXXI.

de vous-même. Que ne fait-on pas pour régner ? vous avez dans les conjectures présentes toutes les facilités possibles de reprendre la couronne qui vous appartient. » Le prince comprit ce que cela voulait dire, et ne répliqua point. Peu de temps après, il fit part à un de ses officiers, nommé Apollonius, du conseil qui lui avait été donné. Celui-ci, jeune encore et sans finesse, lui conseilla au contraire de faire encore une tentative auprès du sénat. « Je suis persuadé, lui dit-il, qu’après vous avoir injustement dépouillé du royaume de Syrie, il n’aura point encore l’injustice de vous retenir plus long-temps en ôtage. Il est trop absurde que vous restiez en Italie pour garant du jeune Antiochus. » Démétrius s’arrête à ce conseil, entre dans le sénat, et demande que, puisqu’on avait mis Antiochus sur le trône de Syrie, au moins on ne l’obligeât pas, lui, de rester en ôtage pour ce prince. Il eut beau accumuler raisons sur raisons, le sénat s’en tint à son premier plan, et l’on ne peut l’en blâmer. Quand il avait assuré le royaume au jeune Antiochus, ce n’est pas que Démétrius n’eût solidement prouvé que ce royaume était à lui de droit ; mais parce qu’il était de son avantage qu’Antiochus le possédât. Les mêmes raisons subsistaient lorsque Démétrius se présenta la seconde fois. Il était donc raisonnable que le sénat ne changeât rien à ses premières dispositions.

Au reste, cette démarche, quelque vaine qu’elle fût, servit à faire sentir à Démétrius combien l’avis de Polybe était sensé, et il se repentit de la faute qu’il avait faite. La noble fierté qui lui était naturelle et son courage le portèrent à la réparer. Il s’aboucha avec Diodore, qui depuis peu était revenu de Syrie, et le consulta sur ce qu’il avait à faire. Ce Diodore avait été son gouverneur, homme habile dans le maniement des affaires et qui avait observé avec soin l’état du royaume. Il lui fit voir que depuis le meurtre d’Octavius tout y était en confusion ; que le peuple se défiait de Lysias et Lysias du peuple ; que le sénat romain n’imputait qu’aux créatures du roi la mort de son député ; que le temps ne pouvait lui être plus favorable ; qu’il n’avait qu’à se remontrer à la Syrie ; que tous les peuples se réuniraient pour lui mettre le sceptre entre les mains, n’y parût-il accompagné que d’un page ; qu’après l’attentat dont on croyait Lysias coupable, il n’y avait nulle apparence que le sénat osât le protéger ; que tout dépendait du secret, et de sortir de manière que personne n’eût connaissance de son dessein.

Démétrius goûte ce conseil, fait venir Polybe, lui communique son projet, le prie d’y prêter la main et de lui chercher des expédiens pour s’évader. Polybe alors avait à Rome un intime ami, nommé Ménylle, natif d’Alabanda, qui avait été député par l’aîné des deux Ptolémées pour être son agent auprès du sénat contre le plus jeune. Il en parla au prince comme de l’homme du monde qu’il connaissait le plus propre à le tirer d’embarras. En effet, Ménylle se chargea d’abord de disposer tout pour le départ. Un bâtiment carthaginois était à l’ancre au port d’Ostie, et devait dans peu mettre à la voile pour porter à Tyr les prémices des fruits de Carthage : on choisissait pour cela les meilleurs vaisseaux. L’ambassadeur de Ptolémée y demanda place pour lui, comme s’il voulait retourner en Égypte, et convint du prix pour son passage, et cela ouvertement et en présence de tout le monde ; de sorte qu’il fit transporter toutes les provisions qu’il voulut, et