Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
305
HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

ses blessés. Voyez-les. Justement, un membre de la Commune, Lefrançais, visite l’ambulance du docteur Demarquay, l’interroge sur l’état des blessés. « Je ne partage pas vos idées, répond le docteur, et je ne puis désirer le triomphe de votre cause ; mais je n’ai jamais vu des blessés conserver plus de calme et de sang-froid pendant les opérations. J’attribue ce courage à l’énergie de leur conviction. » La plupart des malades demandent anxieusement quand ils pourront reprendre leur service. Un jeune homme de dix-huit ans, amputé de la main droite, lève l’autre et s’écrie : « J’ai encore celle-là au service de la Commune ! » On dit à un officier mortellement blessé que la Commune vient de faire remettre sa solde à sa femme et à ses enfants. « Je n’y avais pas droit, » répond-il. — Voilà, mon ami, les brutes alcoolisées qui, d’après Versailles, forment l’armée de la Commune.

Rentrons par le Champ de Mars. Ses vastes baraquements sont assez mal garnis. Il faudrait d’autres cadres, une autre discipline pour y retenir les bataillons.

Devant l’École, cent bouches à feu restent inertes, encrassées, à quinze cents mètres des remparts, à deux pas de la Guerre. Laissons à droite ce foyer de discordes et entrons au Corps législatif transformé en atelier. Quinze cents femmes cousent les sacs de terre qui fermeront les brèches. Une grande et belle fille, Marthe, distribue l’ouvrage, parée de l’écharpe rouge à franges d’argent que ses camarades lui ont donnée. Les chansons joyeuses abrègent la besogne. Chaque soir on fait la paye et les ouvrières reçoivent l’intégralité de leur travail, huit centimes par sac ; l’entrepreneur d’autrefois leur en laissait deux à peine.

Remontons les quais somnolents dans leur calme inaltérable. L’Académie des sciences tient toujours ses séances du lundi. Ce ne sont pas les ouvriers qui ont dit : « La République n’a pas besoin de savants. » M. Delaunay est au fauteuil. M. Élie de Beaumont dépouille la correspondance et lit une note de son collègue, M. J. Bertrand, qui s’est enfui à Saint-Germain ; ce mathématicien stérile n’est pas pour les audaces créatrices n’ayant jamais pu avoir un théorème naturel.