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APPENDICE


XLIV


Elles figurèrent les pétroleuses imaginées par leurs journaux.

On lisait dans le journal Le Globe :

« Peu de jours après la chute de la Commune, un membre de l’Assemblée nationale eut la curiosité d’aller voir les femmes prisonnières à Versailles. À peine avait-il pénétré dans la cour où se trouvaient réunies deux ou trois cents de ces malheureuses, qu’il se sentit saisir le bras par l’une d’elles, couverte de vêtements en lambeaux :

« — Ne me quittez pas, monsieur ! s’écria-t-elle.

« Il essaya de se dégager ; la femme se cramponna plus fort à son bras en lui disant :

« — Pour l’amour de Dieu, ne me quittez pas ; regardez-moi.

« Le député jeta alors les yeux sur la prisonnière et ne put retenir une exclamation de surprise.

« — Grand Dieu ! madame, vous ici ?

« Il venait de reconnaître une de ses amies, femme riche et distinguée, qui habite Paris. La dame fondit en larmes, puis raconta son histoire :

« Le jeudi 23 mai, après que la bataille eut cessé dans son quartier, cette dame sortit et se rendit chez son teinturier pour y réclamer quelques objets. En sortant de sa boutique, elle se trouva au milieu d’un groupe de femmes qui fuyaient, poursuivies par des soldats.

« — Arrêtez-les, criait-on, ce sont des pétroleuses !

« Au même instant, les femmes furent cernées, Mme  X… avec elles et, malgré ses protestations, envoyée à Versailles. La route se fit à pied, et on ne peut se faire une idée des souffrances morales et physiques de l’infortunée prisonnière. La fatigue, la faim, la soif avaient épuisé ses forces. À Versailles, tous les efforts qu’elle tenta pour communiquer avec sa famille ou ses amis furent infructueux. Tout le monde voyait en elle une véritable incendiaire. Personne ne voulut croire qu’elle fût une femme honnête. Le député se hâta naturellement de la faire relâcher. Sans lui, elle aurait pu être transportée avec ses compagnes dans quelque maison pénitentiaire pour y attendre pendant des semaines et des