Page:Livre du Chevalier de La Tour Landry.djvu/74

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aprendre à roumancer, affin que elles peussent aprendre et estudier, et veoir et le bien et le mal qui passé est, pour elles garder de cellui temps qui a venir est. Car le monde est moult dangereux et moult envyeulx et merveilleux ; car tel vous rit et vous fait bel devant qui par derrière s’en va bourdant. Pour ce forte chose est à congnoistre le monde qui à present est, et pour cestes raysons que dict vous ay, du vergier je m’en alay et trouvay enmy ma voye deux prestres et deux clers que je avoye, et leur diz que je vouloye faire un livre et un exemplaire pour mes filles aprandre à roumancier et entendre comment elles se doyvent gouverner et le bien du mal dessevrer. Si leur fiz mettre avant et traire des livres que je avoye, comme la Bible, Gestes des Roys et croniques de France, et de Grèce, et d’Angleterre, et de maintes autres estranges terres ; et chascun livre je fis lire, et là où je trouvay bon exemple pour extraire, je le fis prendre pour faire ce livre, que je ne veulx point mettre en rime, ainçoys le veulz mettre en prose, pour l’abrégier et mieulx entendre, et aussi pour la grant amour que je ay à mes enfans, lesquelz je ayme comme père les doit aimer, et dont mon cuer auroit si parfaite joye se ils tournoyent à bien et à honnour en Dieu servir et amer, et avoir l’amour et la grace de leurs voysins et du monde. Et pour ce que tout père et mère selon Dieu et nature doit enseignier ses enfans et les destourner de male voye et leur monstrer le vray et droit chemin, tant pour le sauvement de l’ame et l’onnour du corps terrien, ay-je fait deux livres, l’un pour mes filz et l’autre pour mes filles, pour aprendre à rommancier,