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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/136

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ſur les Idées ſimples. Liv II.

groſſeur, figure, contexture & mouvement de ſes parties, des ſenſations de douleur, & quelquefois de violentes tranchées. Tout le monde convient encore ſans peine, que ces Idées de douleur ne ſont pas dans la Manne, mais que ce ſont des effets de la maniére dont elle opere en nous ; & que, lors que nous n’avons pas ces perceptions, elles n’exiſtent nulle part. Mais que la Douceur & la Blancheur ne ſoient pas non plus réellement dans la Manne, c’eſt ce qu’on a de la peine à ſe perſuader, quoi que ce ne ſoient que des effets de la maniére dont la Manne agit ſur nos yeux & ſur notre palais, par le mouvement, la groſſeur & la figure de ſes particules, tout de même que la douleur cauſée par la Manne, n’eſt autre choſe, de l’aveu de tout le monde, que l’effet que la Manne produit dans l’eſtomac & dans les inteſtins par la contexture, le mouvement, & la figure de ſes parties inſenſibles, car un Corps ne peut agir par aucune autre choſe, comme je l’ai déja prouvé. On a, dis-je, de la peine à ſe figurer que la Blancheur & la Douceur ne ſoient pas dans la Manne, comme ſi la Manne ne pouvoit pas agir ſur nos yeux & ſur notre palais, & produire par ce moyen, dans notre Eſprit, certaines idées diſtinctes qu’elle n’a pas elle-même, tout auſſi bien qu’elle peut agir, de notre aveu, ſur nos inteſtins & ſur notre eſtomac, & produire par-là des idées diſtinctes qu’elle n’a pas en elle-même. Puiſque toutes ces idées ſont des effets de la maniére dont la Manne opére ſur différentes parties du Corps, par la ſituation, la figure, le nombre & le mouvement de ſes parties, il ſeroit néceſſaire d’expliquer, quelle raiſon on pourroit avoir de penſer que les idées, produites par les yeux & par le palais, exiſtent réellement dans la Manne, plûtôt que celles qui ſont cauſées par l’eſtomac & les inteſtins, ou bien ſur quel fondement on pourroit croire, que la douleur & la langueur, qui ſont des idées cauſées par la Manne, n’exiſtent nulle part, lors qu’on ne les ſent pas, & que pourtant la douceur & la blancheur qui ſont des effets de la même Manne, agiſſant ſur d’autres parties du Corps par des voyes également inconnuës, exiſtent actuellement dans la Manne, lorſqu’on n’en a aucune perception ni par le goût ni par la vûë.

§. 19. Conſiderons la couleur rouge & blanche dans le Porphyre : Faites que la lumiére ne donne pas deſſus, ſa couleur s’évanouït, & le Porphyre ne produit plus de telles idées en nous. La lumiére revient-elle, le Porphyre excite encore en nous l’idée de ces couleurs. Peut-on ſe figurer qu’il ſoit arrivé aucune alteration réelle dans le Porphyre par la préſence ou l’abſence de la lumiére ; & que ces idées de blanc & de rouge ſoient réellement dans le Porphyre, lors qu’il eſt expoſé à la lumiére, puiſqu’il eſt évident qu’il n’a aucune couleur dans les ténèbres ? A la vérité, il y a, de jour & de nuit, telle configuration de partie qu’il faut, pour que les rayons de lumiére reflechis de quelques parties de ce Corps dur, produiſent en nous l’idée du rouge ; & qu’étant reflechis de quelques autres parties, ils nous donnent l’idée du blanc : cependant il n’y a en aucun temps, ni blancheur ni rougeur dans le Porphyre, mais ſeulement un arrangement de parties propre à produire ces ſenſations dans notre Ame.

§. 20. Autre experience qui confirme viſiblement que les ſecondes qua-