l’Entendement, en prétendant l’éclairer. Car nous voyons tous les jours que d’autres perſonnes de bon ſens qui par leur éducation n’ont pas été dreſſez à cette eſpèce de ſubtilité, peuvent exprimer nettement leurs penſées les uns aux autres & ſe ſervir utilement du Langage en le prenant dans ſa ſimplicité naturelle. Mais quoi que les gens ſans étude entendent aſſez bien les mots blanc & noir, & qu’ils ayent des notions conſtantes des idées que ces mots ſignifient, il s’eſt trouvé de Philoſophes qui avoient aſſez de ſavoir & de ſubtilité pour prouver que la Neige eſt noire, c’eſt-à-dire, que le blanc eſt noir ; par où ils avoient l’avantage d’anéantir les inſtrumens du Diſcours, de la Converſation, de l’inſtruction, & de la Societé, tout leur art & toute leur ſubtilité n’aboutiſſant à autre choſe qu’à brouiller & confondre la ſignification des Mots, & à rendre ainſi le Langage moins utile qu’il ne l’eſt par ſes défauts réels : Admirable talent, qui a été inconnu juſqu’ici aux gens ſans lettres !
§. 11.Il eſt auſſi utile que le ſeroit l’art de confondre les caractéres. Ces ſortes de Savans ſervent autant à éclairer l’Entendement des hommes & à leur procurer des commoditez dans ce Monde, que celui qui altérant la ſignification des Caractéres déja connus, ſeroit voir dans ſes Ecrits par une ſavante ſubtilité fort ſuperieure à la capacité d’un Eſprit idiot, groſſier & vulgaire, qu’il peut mettre un A pour un B, & un D pour un E, &c. au grand étonnement de ſon Lecteur à qui une telle invention ſeroit fort avantageuſe : car employer le mot de noir qu’on reconnoît univerſellement ſignifier une certaine idée ſimple, pour exprimer une autre idée, ou une idée contraire, c’eſt-à-dire, appeller la neige noire, c’eſt une auſſi grande extravagance que de mettre ce caractére A à qui l’on eſt convenu de faire ſignifier une modification de ſon, fait un certain mouvement des organes de la Parole, pour B à qui l’on eſt convenu de faire ſignifier une autre modification de ſon, produite par un autre mouvement des mêmes Organes.
§. 12.Cet art d’obſcurcir les mots a embrouillé la Religion & la Juſtice. Mais ce mal ne s’eſt pas arrêté aux pointilleries de Logique, ou à de vaines ſpéculations, il s’eſt inſinué dans ce qui intéreſſe le plus la vie & la Société humaine, ayant obſcurci & embrouillé les véritez les plus importantes du Droit & de la Théologie, & jetté le deſordre & l’incertitude dans les affaires du Genre Humain : de ſorte que s’il n’a pas détruit ces deux grandes Règles des actions de l’homme, la Religion & la Juſtice, il les a renduës en grand’ partie inutiles. A quoi ont ſervi la plûpart des Commentaires & des Contreverſes ſur les Loix de Dieu & des hommes, qu’à en rendre le ſens plus douteux & plus embarraſſé ? Combien de diſtinctions curieuſes, multipliées ſans fin, combien de ſubtilitez délicates a-t-on inventé ? Et qu’ont-elles produit que l’obſcurité & l’incertitude, en rendant les mots plus inintelligibles, & en depaïſant davantage le Lecteur ? Si cela n’étoit, d’où vient qu’on entend ſi facilement les Princes dans les ordres communs qu’ils donnent de bouche ou par écrit, & qu’ils ſont ſi peu intelligibles dans les Loix qu’ils preſcrivent à leurs Peuples ? Et n’arrive-t-il pas ſouvent, comme il a été remarqué ci-deſſus, qu’un homme d’une capacité ordinaire liſant un paſſage de l’Ecriture, ou une Loi, l’entend fort bien,