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L'ILLUSTRATION

tefois le compte de leur contenu. Mais il hésita, incertain, au sujet d’un sac trapu de cuir d’élan, — pas gros, car il pouvait le cacher sous ses deux mains, mais qui pesait quinze livres, autant que le reste du bagage. Ce sac le tourmentait. Finalement il le posa de côté et se mit à rouler son paquetage. Il arrêta ses yeux sur le sac de cuir, il le ramassa à la hâte, regardant tout autour de lui d’un air défiant comme si la désolation allait le lui voler. Quand il se mit sur ses pieds pour commencer la marche chancelante de la journée, le sac faisait partie du bagage qu’il avait sur le dos.

Il alla vers la gauche, s’arrêtant de temps à autre pour manger des baies de muskeg. Sa cheville était ankylosée, il boitait plus bas ; mais cette douleur n’était rien, comparée à celle de son estomac. Les tiraillements de la faim étaient aigus et le torturaient sans relâche, à ce point qu’il ne pouvait pas fixer son esprit sur la route à suivre pour gagner le « pays des petits bâtons ». Les baies ne diminuèrent pas ces tiraillements, et il eut à souffrir de leurs morsures qui rendaient douloureux sa langue et son palais.

Il arriva dans une vallée où les ptarmigans de rocher se levaient des rebords de rocs et des muskegs avec un bruissement d’ailes et en criant : « ker, ker, ker » Il leur lança des pierres, mais ne put les atteindre ; il posa son bagage et les poursuivit comme un chat poursuit un moineau. Les rochers aigus coupèrent ses pantalons jusqu’aux genoux, laissant des traces de sang. Mais cette douleur était noyée dans celle de la faim. Il se roula dans la mousse mouillée, trempant ses vêtements et se gelant le corps ; mais il ne s’en aperçut pas, tant sa fièvre de faim était grande. Et chaque fois les ptarmigans se levaient, voletaient devant lui, jusqu’à ce que leur « ker, ker, ker » devînt pour lui une moquerie. Il les maudit et tout haut leur rejeta leur propre cri.

Une fois, il rampa sur un oiseau qui devait être endormi ; il ne l’aperçut que quand celui-ci se leva de son coin de rocher et lui frappa la figure. Aussi surpris que le ptarmigan lui-même, il tenta de le saisir, et seules trois plumes de sa queue lui restèrent dans les mains. Tandis qu’il le regardait voler, il l’injuria, comme si l’oiseau l’avait offensé. Puis il revint sur ses pas et épaula son bagage.

À mesure que le jour avançait, l’homme arriva dans des vallées où le gibier était plus abondant. Une bande de caribous, forte d’une vingtaine d’animaux, passa à portée de carabine : un supplice de Tantale. Il sentit un désir fou de les poursuivre, certain de pouvoir les atteindre. Un renard noir vint de son côté, portant un ptarmigan dans la gueule. L’homme cria. C’était un cri terrible, mais le renard, bondissant de frayeur, ne lâcha pas sa proie.

Tard dans l’après-midi, il suivit un ruisseau, laiteux de calcaire, qui courait au travers de minces bouquets épars de joncs. Saisissant ces joncs fermement près de la racine, il tira ce qui ressemblait à une pousse d’oignon pas plus grande qu’un clou à ardoises.

C’était tendre et ses dents l’entamaient avec un broiement qui promettait quelque chose. Mais les fibres résistantes n’étaient que des filaments filandreux saturés d’eau et, comme les baies, sans substance aucune. Il rejeta son bagage et alla parmi les joncs sur les genoux et sur les mains, broyant et mâchonnant comme une créature bovine.

Il se sentait harassé et souvent demandait à se reposer, à se coucher et à dormir ; mais il était continuellement poussé, non pas tant par le désir de gagner le « pays des petits bâtons » que par la faim. Il chercha, dans les petites mares, des grenouilles et fouilla la terre avec ses ongles pour y trouver des vers, quoiqu’il sût que ni grenouilles ni vers n’existaient si loin vers le nord.

Il regarda en vain dans chaque mare jusqu’à ce que, vers le crépuscule, il découvrît dans l’une d’elles un poisson solitaire, pas plus gros qu’un véron. Il plongea son bras jusqu’à l’épaule, mais le manqua. Il le chercha des deux mains et remua la boue laiteuse du fond. Emporté par son ardeur, il tomba dans la mare et se trempa jusqu’à la ceinture. Puis, l’eau devint trop boueuse pour