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Page:London - Contes des mers du Sud, trad. Postif et Gruyer, 1948.djvu/99

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« Il était aussi incapable de nommer les trente-deux divisions de la rose des vents que je le serais moi-même de composer aucun des délicieux cocktails que nous avons devant nous.

« Il ne put jamais distinguer une écoute d’une manœuvre, une trinquette d’un tourmentin[1]. Et, quant à le mettre au gouvernail, dès que la mer était un peu grosse, il n’y fallait pas songer.

« Je peux dire que son éducation, à laquelle je m’acharnai en vain, est responsable de mes premiers cheveux blancs.

« Par trois fois, il se laissa tomber par-dessus bord. Et, comme il ne savait pas nager, c’est miracle s’il put être repêché.

« C’était lui certainement qui, dans des cas semblables, se faisait le moins de bile. Il n’avait pas non plus le mal de mer et souriait béatement au milieu des pires tempêtes.

« Peu communicatif, il ne contait rien, à personne, de son passé. L’existence datait pour lui de son engagement sur la Duchesse. Par son accent nasillard, nous sûmes seulement que c’était un Yankee. Et c’est tout ce que nous pûmes jamais connaître de ce bizarre personnage. Où avait-il appris à tirer comme il excellait à le faire ? Les étoiles seules le savaient.

« J’arrive maintenant au cœur de mon récit.

  1. Les écoutes sont les cordages attachés aux coins inférieurs des voiles, Les manœuvres sont les cordages ordinaires, « courants ou dormants », Les trinquettes sont des voiles triangulaires, portées par la « vergue de trinquet », et les tourmentins sont de petits focs utilisés en cas de tourmente.