Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/85

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considéra le drame de la vie qui était en train de se jouer devant lui. Le lynx et le porc-épic attendaient. Tous deux prétendaient vivre. Le droit à l’existence consistait pour l’un à manger l’autre ; il consistait pour l’autre à ne pas être mangé. Le vieux loup ajoutait, dans le drame, son droit aux deux autres. Peut-être un caprice du sort allait-il le servir et lui donner sa part de viande.

Une demi-heure passa, puis une heure, et rien n’advenait. La boule épineuse aurait pu être aussi bien pétrifiée, tellement rien n’y tressaillait, et le lynx être un bloc de marbre inerte, et le vieux loup être mort. Et cependant, chez ces trois bêtes en apparence inertes, la tension vitale était arrivée à son paroxysme. Elle atteignait, presque douloureuse, tout ce que leur être pouvait supporter.

Un-Œil esquissa un léger mouvement et observa avec un intérêt croissant. Quelque chose arrivait. Le porc-épic avait enfin jugé que son adversaire était parti. Précautionneux, avec des mouvements mesurés, il déroula son invincible armure et, lentement, lentement, se détendit et s’allongea. Le vieux loup sentit sa gueule s’humecter involontairement de salive, devant cette chair vivante, qui s’étalait, comme à plaisir, devant lui.

Le porc-épic n’était pas encore entièrement déroulé quand il découvrit son ennemi. Au même instant, rapide comme la foudre, le lynx frappa. La patte aux griffes acérées, recourbées comme des crochets, atteignit le ventre douillet et, revenant en arrière, d’un brusque mouvement, le déchira. Mais le porc-épic avait vu le lynx un millième de seconde avant le coup, et ce temps lui suffit