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tache l’honneur que nous ont transmis nos ancêtres ?… Ah ! s’il en est ainsi, si tu as succombé, alors me m’appelle plus ton père ; car je ne serais plus le père d’une infâme, et, je ne crains pas de te le dire, je me considérerais comme obligé moi-même de verser ton sang impur.

Elvire.

Mon père, si au milieu de mes disgrâces et de mes mortels ennuis, ceux de qui je pourrais attendre des consolations ne me parlent que pour augmenter mes douleurs, que deviendrai-je dans l’horrible situation où je me trouve ? Mon père, je suis votre fille, c’est de vous que je tiens la vie, et croyez-le, avec votre sang vous m’avez transmis vos sentiments et votre vertu. Le tyran, il est vrai, a voulu triompher de moi ; mais, grâce au ciel, qui m’a donné un courage plus qu’humain, j’ai toujours su me défendre. Vous pouvez être fier, mon père : malgré ma dure prison, malgré le supplice affreux que j’endure, je mourrai plutôt que de me laisser vaincre,

Nuño.

Ô ma fille ! mes soupçons, mes craintes disparaissent, et je sens mon cœur paternel qui se dilate et s’agrandit pour te recevoir.

Elvire.

Qu’est devenu le pauvre Sanche, mon époux ?

Nuño.

Il est retourné vers le roi Alphonse.

Elvire.

Quoi ! il n’est pas au hameau ?

Nuño.

J’attends aujourd’hui son arrivée.

Elvire.

Hélas ! pourvu qu’on ne lui fasse point de mal !

Nuño.

On en veut donc à ses jours ?

Elvire.

Le tyran a juré sa mort.

Nuño.

Sanche saura se mettre à couvert.

Elvire.

Oh ! que ne puis-je m’élancer de cette fenêtre dans vos bras !

Nuño.

Avec quelle tendresse, avec quelle joie tu serais reçue !

Elvire.

On m’appelle, mon père, il faut que je vous quitte. Adieu, adieu !

Elle se retire.
Nuño.

Adieu, ma fille. — Pauvre enfant ! je ne la verrai plus. Je n’ai plus qu’à mourir.