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Laurencia.

Moi ?

Pascale.

Non, c’est le curé[1].

Laurencia.

Je suis une jolie poulette, c’est possible, mais je ne suis pas assez tendre pour sa révérence. J’aime mieux, pardine[2] ! mettre au feu le matin un morceau de lard aux œufs pour mon déjeuner, le manger avec du pain que j’ai pétri moi-même, en dérobant à ma mère un verre de vin de la jarre cachetée ; j’aime mieux à midi voir mon bouilli danser et frétiller au milieu des choux, en soulevant une écume harmonieuse[3], et, si je suis fatiguée et pressée par la faim, me contenter de quelques aubergines cuites avec du lard ; j’aime mieux, après un léger goûter et pendant que je prépare le souper, décrocher quelques raisins de ma vigne (que Dieu garde de grêle !) ; j’aime mieux manger le soir une salade avec de l’huile et du piment, et ensuite aller, contente, au lit, après avoir fait mes prières en répétant du fond du cœur : Ne nous induisez pas en tentation, que toutes ces sornettes que me content ces mauvais sujets, et toutes leurs protestations d’amour. Car enfin, sans se soucier de ce que nous deviendrons, ils ne songent qu’à se procurer une nuit de plaisir, laquelle serait suivie de dégoût le lendemain.

Pascale.

Tu as raison, Laurencia ; lorsqu’ils cessent de nous aimer, les hommes sont plus ingrats que les moineaux de nos champs. L’hiver, lorsque le froid a gelé la terre, ils descendent de leurs nids en disant au laboureur biau, biau, biau, et viennent manger les miettes jusque sous sa table ; et puis, lorsque le printemps reparaît, et qu’ils voient les champs reverdir, oubliant les bienfaits qu’ils ont reçus, ils revolent sur les toits en criant viau, viau, viau[4] ! Ainsi font les hommes. Tant qu’ils nous désirent, nous sommes leur vie, leur existence, leur cœur, leur âme ; mais une fois que le fossé est franchi, leurs anges se dérangent, et ils souhaitent le bonjour à leurs amours[5].

Laurencia.

Ne nous fions à pas un.

  1. Comme nous dirions en français : Non, c’est le chat !
  2. L’espagnol dit pardiez pour por Dios.
  3. Y mas precio al medio dia
    Ver la vaca entre las coles
    Haciendo mil caracoles
    Con espumosa armonia
    , etc., etc.

  4. Dans l’espagnol, à l’endroit où nous avons mis biau, biau ! il y a tio, tio (oncle), — et ici judio, judio (juif). Nous avons tâché de reproduire l’onomatopée plutôt que le sens littéral.
  5. Ici encore il y a une grâce qui repose sur une ressemblance de sons que nous avons tâché de reproduire :

    Las tias somos judias, etc., etc.