Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/142

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Entre LAURENCIA, échevelée.
Laurencia.

Laissez-moi entrer. Je puis paraître dans un conseil d’hommes. S’il ne m’est pas permis d’y donner mon vote, je pourrai du moins y faire entendre ma voix. — Me reconnaissez-vous ?

Estévan.

Ciel ! n’est-ce pas ma fille ?

Juan.

Ne reconnais-tu pas Laurencia ?

Laurencia.

Hélas ! je viens si différente de ce que j’étais, que je comprends bien votre hésitation.

Estévan.

Ma fille ! mon enfant !

Laurencia.

Ne m’appelez pas ainsi.

Estévan.

Et pourquoi, mon enfant, mon trésor ?

Laurencia.

Parce que vous m’avez laissé enlever par des tyrans sans me venger, ravir par des traîtres sans me recouvrer. Je n’étais pas encore à Frondoso, et par conséquent vous ne pouvez pas dire que ce soit lui que regarde sa vengeance. Mon honneur était encore le vôtre, et c’est à vous seul d’en répondre[1]. À vos yeux Fernand Gomez m’a enlevée, m’a fait conduire dans sa maison ; et vous, semblables à de lâches pasteurs, vous laissez le loup dévorant saisir au milieu de vous la faible brebis. Que de poignards ont été levés sur mon sein ! que de menaces terribles ! que de traitements atroces pour que ma chasteté se rendît à ses infâmes désirs ! Mes cheveux en désordre ne vous le disent-ils pas ? Ne voyez-vous pas la trace des coups que j’ai reçus ? Ne voyez-vous pas le sang qui coule encore de mes blessures ?… Et vous êtes des hommes nobles ! et vous êtes nos pères, nos parents ! et votre cœur ne se déchire pas de douleur à l’aspect des douleurs que j’ai subies ?… Vous n’êtes point des hommes, vous n’êtes que de timides agneaux[2]. Eh bien, donnez-nous vos armes. Puisque vous êtes insensibles comme la pierre

  1. L’original ajoute : « Jusqu’à la nuit des noces, cette obligation court pour le compte du père, et non pour celui du mari ; car si j’achète un bijou, jusqu’à ce qu’il me soit délivré, je ne puis avoir à ma charge ni les frais de garde, ni les risques à courir de la part des voleurs. » À l’exemple de M. la Beaumelle, qui avant nous avait traduit cette pièce, nous avons cru devoir supprimer cette phrase.
  2. Ovejas soys, bien lo dize
    De Fuente Ovejuna el nombre.

    Mot à mot : « Vous êtes des brebis, comme le dit le nom de Fontovéjune (fontaine aux brebis). »