Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/179

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Entrent JOSEPH, ASSIRIS, et des Gardes.
Assiris.

Approche, le roi t’attend.

Joseph, à Pharaon.

Seigneur invincible, Joseph, Hébreu de nation, vient en sortant de prison se prosterner à tes pieds, où il attend humblement tes ordres.

Pharaon.

Lève-toi. (À part.) Quelle belle et noble prestance ! (Haut.) Joseph, Assiris m’a dit que tu étais un homme habile à pénétrer les choses futures. — Un songe m’inquiète, et ces deux sages, que l’on vénère pour tels en Égypte, aujourd’hui la mère des sciences, ne peuvent ni l’expliquer ni le comprendre.

Joseph.

Dieu te l’expliquera.

Pharaon.

J’ai songé que j’étais sur le bord d’un fleuve[1], et sur le rivage je voyais sept vaches grasses qui paissaient l’herbe fleurie. Incontinent j’en aperçus sept autres, mais si maigres et si chétives, qu’ayant dévoré les premières, il n’y parut pas. Ému de ce songe, je me réveillai. Mais m’étant rendormi, voici que je vis sept épis d’une beauté remarquable, et presque aussitôt j’en vis sept noirs et qui engloutirent les premiers.

Joseph.

Écoute, seigneur, afin que tu saches ce que Dieu révèle par ce songe à Pharaon. — Les sept vaches grasses et les sept beaux épis ce sont sept années d’abondance. Les sept vaches maigres et les sept épis desséchés qui dévorent les autres ce sont sept années toutes différentes des premières, sept années de famine. En réitérant ce songe à Pharaon, Dieu a voulu lui montrer la vérité, et l’engager à faire hâte, en lui prouvant que sa volonté est bien arrêtée. Il te faut dès ce moment remédier au mal. Choisis un homme entendu et sage qui pendant les années d’abondance réunisse tout le blé qu’il pourra ; et en l’enserrant dans des magasins, on aura de quoi subvenir à la disette des années qui suivront. En te conduisant ainsi, tu affermis pour jamais ton empire.

Pharaon.

Où donc, Joseph, pourrai-je trouver un homme de ton intelligence ? Ne rends-tu pas des oracles plus sûrs que ceux des sibylles, comme si un souverain Apollon t’inspirait ? N’est-ce pas Dieu même qui parle par ta bouche ?… C’est toi, c’est toi qui dois être

  1. Soñe que estava à la orilla
    De un rio
    , etc., etc., etc.

    L’expression de la Genèse est plus exacte. Elle dit du fleuve, parce qu’il n’y a en Égypte qu’un seul fleuve, le Nil.