Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/18

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Tristan.

Ils sont contents. Maintenant il ne reste plus rien dans le navire. J’en ai sorti tous nos effets.

Lucindo.

Ô Sicile !

Tristan.

Que signifie ce trouble ?

Lucindo.

Ah ! Tristan, qu’il est difficile de traverser cette mer orageuse !

Tristan.

Diriez-vous cela, par hasard, à cause des femmes qui se promènent sur la plage ?

Lucindo.

Mon Dieu ! non ; je pensais à ma patrie… Autrement tu me connais bien mal, si tu crains que je ne lance le vaisseau de ma jeunesse au milieu de cette mer de plaisirs, quoiqu’en apparence elle promette le calme ; car il n’y a aucune sûreté avec la femme la plus parfaite, je ne dis pas la plus parfaite en vertu, mais en beauté. Peste soit des femmes !

Tristan.

Que dites-vous là ?

Lucindo.

Malédiction sur l’amour ?

Tristan.

Quant à moi, je le bénis, et je prie ce dieu irritable de ne vous châtier pas de ces blasphèmes.

Lucindo.

Pourquoi aussi m’as-tu parlé de femmes ? Mon père ne m’a-t-il pas envoyé ici de Valence avec ses marchandises pour les vendre ? Plusieurs de mes proches ne m’ont-ils pas confié dans le même but une quantité considérable d’objets de leur commerce ? Et ne dois-je pas retourner là-bas avec une cargaison de blé achetée avec le prix de ce que j’aurai vendu ? Ne me parle donc pas des femmes, car les négociants n’ont pas de plus grands ennemis qu’elles. Les abus de confiance, les billets non soldés, les faillites frauduleuses, les pratiques qui ne payent pas, les débiteurs qui meurent, les tempêtes de la mer, toutes ces choses fatales sont moins à redouter pour un marchand que les caresses d’une femme. Une belle femme qui accueille un marchand entre ses bras le dépouille plus complétement que le plus avide pirate.

Tristan.

Plaise au ciel que vous persévériez dans ces sages pensées !

Albano, à Phénice.

Enfin, pour revenir à ce que vous disiez, il faut que je vous fasse des présents.