Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/192

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double l’amour, et qu’il excite son audace ?… Ah ! si ton cœur est glacé, viens dans mes bras, ils sont de flamme.

Benjamin.

Éloigne-toi, folle. Voici Jacob.

Lida.

Hélas ! je renonce à soumettre ce cœur farouche.


Entre JACOB.
Jacob.

Ma tendresse supporte mal cette absence, et mon âme en reçoit un tourment sans égal. La patience commence à me manquer, et pour rendre ma peine complète, ma pensée s’occupe au plus triste souvenir. Hélas ! je n’ai que trop raison de craindre, moi qui toujours aimai avec tant de tendresse, et qui fus toujours si malheureux dans mes affections.

Benjamin.

Mon père et seigneur !

Jacob.

Il semble, aimable Benjamin, que tu as deviné que j’avais besoin de consolation.

Benjamin.

Seigneur, ta peine émeut mon cœur, et elle répand je ne sais quelle tristesse sur tous les lieux d’alentour, qui, depuis le moment où le soleil se lève jusqu’à son coucher, semblent prendre part à ton chagrin. Mes frères ne tarderont pas à venir ; n’ajoute pas à tes justes ennuis par ces vaines craintes.

Jacob.

Mes craintes ne sont point vaines : il suffit qu’elles soient miennes pour se réaliser, et je suis comme un homme qui pressent un malheur.

Benjamin.

Ah ! tu avais plus de force, tu avais le cœur plus ferme au temps où tu gardais le troupeau de Laban, l’âme occupée durant tant d’années pour ma mère chérie, pour la belle Rachel, la plus aimée et la plus fortunée des femmes.

Jacob.

Ô mon fils ! quel souvenir as-tu réveillé ?… Je ne sais comment te dire ce que j’éprouvai durant ces quatorze années, au printemps fleuri de mon âge, heureux et charmé malgré les trompeuses promesses de Laban. — J’étais alors un brillant jeune homme, et je me vêtais avec élégance, les jours — ces jours de joie, — où j’allais voir ta mère ; et devenue mon épouse, elle m’a dit souvent qu’elle n’était pas sans jalousie en me voyant si bon air. Parfois, avec les autres bergers, nous luttions devant elle ; et moi, sous les yeux de ma Rachel bien-aimée, je me sentais animé d’une force invincible ;