Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/195

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peux-tu craindre, toi qui as vu Dieu face à face ? Qui pourrait t’offenser, toi qui as été vainqueur d’un géant divin[1] ?

Jacob.

Ô mon fils, tu ne me laisses pour consolation que des souvenirs bien éloignés. Mais tu veux partir, Benjamin… Eh bien, pars, et que mon âme aille avec toi !

Benjamin.

Bientôt, j’espère, je reviendrai joyeux te presser dans mes bras.

Jacob.

Mes fils, que ma bénédiction soit sur vous tous !

Issacar, à ses frères.

Allons avec lui jusqu’à notre voyage.

Ruben.

Dès que nous aurons pris du repos, nous partirons.

Ils sortent. Restent Bato et Lida.
Bato.

Arrête un peu.

Lida.

Toujours le même !

Bato.

Eh quoi ! refuserait-on d’embrasser un homme arrivant de voyage, alors même qu’il serait de la couleur d’un nègre ?

Lida.

Où as-tu vu qu’on soit obligée de t’embrasser sans t’aimer ?

Bato.

Ce n’est pas que tu désires d’être embrassée ; c’est que je t’aime.

Lida.

Eh bien, pour que tu ne m’accuses pas d’impolitesse, en ne me trouvant pas aussi facile que le sont les autres femmes, je consens à t’embrasser.

Bato.

Ma foi ! tu as raison de ne pas être impolie, car c’est fort mal, même entre amants. Combien l’on voit de lourdauds qui ont peine à soulever d’un pouce leur chapeau sur leur tête ! et combien l’on en voit d’autres qui, par un excès contraire mais non moins stupide, refusent de s’asseoir parce qu’ils voient quelqu’un debout !… Tout cela me fait pitié !

Lida.

Enfin veux-tu que je t’embrasse de mes deux bras ?

Bato.

Je crains qu’un tel effort ne soit pour toi une cause de fatigue.

  1. ...Quien será parte
    A ofenderte, si has rendido
    A aquel divino gigante ?

    On peut voir au ch. xxxii de la Genèse la lutte de Jacob avec l’ange.