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Dorothée.

Il paraît que vous avez élu domicile dans cette rue. Comme votre Dorothée est occupée ailleurs, pendant ce temps-là, pour vous distraire, vous tourmentez ma porte et mes fenêtres.

Don Juan.

Ma chère Marcèle, je viens oublier près de vous l’indigne conduite d’une ingrate. J’allais me réconcilier avec elle, lorsque le roi est venu accompagné d’un infant, et, sur son invitation, elle l’a suivi au palais. Et voilà la femme que j’aimais ! que je voulais épouser !… Mais c’est fini, je suis désabusé. Je romps avec elle. Je suis à vous désormais. À vous désormais ma fortune et mon cœur.

Dorothée.

Assez, assez, don Juan ! Si j’ai gardé le silence, c’était pour savoir toutes vos lâchetés ; mais à présent que mon honneur est en jeu, il faut que je vous détrompe. — Vous n’avez donc pas reconnu ma voix ? Vous avez donc bien peu de mémoire ? Je suis Dorothée, et non pas Marcèle. Marcèle est en ce moment avec le roi. Ce qui a fait votre erreur, c’est que j’habite actuellement son ancienne maison… et qu’elle demeure dans la mienne. J’ai changé de logis pour me soustraire aux poursuites de l’infant. Voici les bijoux que vous m’avez donnés. — Allez, ingrat, allez avec Marcèle. C’est la maîtresse qui vous convient. Un homme comme vous ne doit pas s’attacher à une personne honnête et sage.

Don Juan.

Assez, assez, Dorothée. Cette apologie serait parfaite, et je l’écouterais avec plaisir, si je n’avais point vu, — vu de mes yeux, — un homme qui a ouvert votre porte et qui est entré.

Dorothée.

Qui le nie ? Cet homme, c’est mon frère. Mon frère peut entrer chez lui à toute heure ; et si vous ne me croyez pas, vive le ciel ! venez, et je vous ferai parler à lui.

Don Juan.

Non, mon bien, non, ma vie, je vous crois, et je vous adore, et je vous supplie de me pardonner. Vous me voyez à genoux devant vos fenêtres.

Dorothée.

Vous n’avez que faire de mon pardon. Demain vous reverrez Marcèle, belle, brillante, charmante, et vous lui donnerez, comme vous le lui avez promis, votre fortune et votre cœur. Seulement, prenez garde, j’ai envie d’avertir votre père, afin qu’il ne soupçonne pas que c’est à moi que vous portez ce que vous donnerez à Marcèle.

Don Juan.

Mon bien, mon trésor, ma beauté, beauté pure et sans tache, dont l’éclatante blancheur surpasse celle de la neige, — ô ma vie ! daigne m’écouter, ou je meurs.