Aujourd’hui, la mer agitée par la tempête se soulève avec fureur et vient en mugissant frapper le rivage ; demain, peut-être, elle sera tranquille et mènera doucement les vaisseaux vers le port. — Aujourd’hui, les arbres des bois sont couverts de frimas et de neige : demain, peut-être, ils montreront avec orgueil leurs branches couvertes de feuilles verdoyantes et de fleurs embaumées. — Ainsi, Lisène, tout change ici-bas ; et ton cœur, aujourd’hui en proie au désespoir, demain peut s’ouvrir encore à l’espérance[1].
Scène III.
On dirait, don Juan, que vous n’avez aucun plaisir, quoique entouré de dames.
Un pauvre prisonnier n’a jamais l’âme fort contente.
Quoique Tolède soit à la tête des villes d’Espagne, on ne trouve pas ici les distractions que l’on trouve là-bas à la cour.
Ma foi, vive Madrid ! Là tout se vend et tout s’achète, la truite et la merluche comme la grenouille et la perdrix. Là il y a de brillantes courtisanes pour les grands seigneurs, des souillons à bon marché pour les gens de rien, et des femmes entre deux pour les amateurs de moyenne condition. En cela Madrid ressemble aux auberges d’Italie, où celui qui paye le mieux mange toujours les meilleurs morceaux ; et puis vient un Espagnol dont la bourse et le haut de chausses sont en mauvais état, et on lui sert pour son dîner un oiseau de nouvelle espèce, composé des diverses parties des autres oiseaux, — un oiseau merveilleux tel qu’on n’en a jamais vu ni dans la Manche ni aux Indes. Une moitié de la poitrine est de la grive, l’autre moitié est de la pie ; il y a une patte de perdrix et une patte de pigeonneau ; et tout cela si subtilement recousu avec du fil de pite[2], que le pauvre dîneur ne voit là que des veines ou des nerfs, — d’autant que cet oiseau rare est adroitement couvert d’une bonne petite sauce piquante. Puis, quand notre soldat revient au pays, il faut l’entendre vanter l’Italie où l’on vous sert de magnifiques dîners pour trois réaux ! — Au reste, comme je le disais, rien ne ressemble autant aux dames de mon bon Madrid,