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Dionis.

Non pas. Celui qui triomphe de sa passion, goûte, dit-on, une joie céleste.


Entre DON JUAN.
Don Juan.

Don Louis, monseigneur[1], je vous ai aperçu de la fenêtre. Qu’est ceci ?

Don Louis.

Ne m’avez-vous jamais vu ici ?

Don Juan.

Comme je ne connais point Tolède, je ne saurais trop le dire.

Don Louis.

C’est ici, don Juan, c’est ici qu’est mon bonheur.

Don Juan, à part.

C’est ici qu’est ma crainte.

Don Louis.

Ayant appris que don Fernand vous avait emmené dans sa maison, je suis venu vous prier de me sauver la vie… Il serait mal à moi de vous rappeler le service que je vous ai rendu. Je n’avais aucune vue personnelle, je croyais bien que jamais je n’aurais un service à vous demander… Vous habitez la maison de ma belle. Parlez-lui en ma faveur. Je suis son prisonnier depuis une époque antérieure à celle où vous fûtes vous-même arrêté : faites pour moi auprès d’elle ce que j’ai fait pour vous auprès de mon père. Elle sait déjà que je l’aime ; veuillez l’en assurer, et lui répondre de moi. Je la jugerai à sa conduite. Si elle ne se montre pas sensible à vos prières, elle n’est pas un ange, elle n’est qu’une femme.

Don Juan.

Seigneur, je suis obligé de vous servir en toute chose, et quoique celle-ci soit assez délicate, mon dévouement n’hésite pas. Vous étiez autrefois aimé de Léonarda et vous n’êtes plus aussi heureux. D’où vient ce changement ? Est-ce de sa part inconstance ou légèreté ? je l’ignore. — Quoi qu’il en soit, je me tiens à vos ordres. Je saisis l’occasion de vous témoigner ma reconnaissance, — et pour vous délivrer de la captivité où vous êtes, je vais à mon tour enchaîner ma liberté[2]. Vous saurez quelque jour peut-être ce que j’aurai fait pour vous ; vous saurez mon abnégation, et vous avouerez que j’ai payé au double ce que je vous devais.

Don Louis.

Pour peu que cela vous contrarie, don Juan, je retire ma demande… Je ne voudrais pas d’un service que vous me rendriez malgré vous. — L’amitié ne peut exiger ni même accepter de si grands sacrifices.

  1. On employait cette formule de langage en parlant à un supérieur.
  2. Sa liberté morale.