Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/111

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— Ma foi, mes chers enfants, il y a bien un moyen…

Et tout à coup avec un grand salut, un vrai salut de cour à l’actrice interdite :

« Quittez la scène, épousez-moi ! »

Et elle l’avait épousé, l’ardente et passionnée créature, toute millionnaire et toute belle qu’elle fut. En pleine gloire de son talent et de sa jeunesse épanouie, elle avait quitté l’Opéra, le public, ses triomphes, ses succès, et d’étoile était devenue marquise et tout cela pour l’amour de Rosario — cette Rosario qu’elle attend, toute frissonnante d’impatience à l’angle de cette haute fenêtre, toute blanche dans ces dentelles et ce doux velours blanc, dans l’attitude un peu théâtrale et comme ressouvenue de Juliette attendant Roméo !

Roméo ! elle avait balbutié le nom de Roméo et la Barnarina est devenue toute pâle.

Dans le drame shakespearien Roméo meurt et Juliette ne survit pas à son amant : ils rendent l’âme sur le corps l’un de l’autre dans l’ombre nuptiale du même tombeau ; or la Barnarina, russe et fille de moujiks, est superstitieuse et s’en veut de sa pensée involontaire ; elle a songé à Roméo !