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MADAME CHRYSANTÈME

Le lendemain donc, accompagné de l’ami d’une invraisemblable hauteur qui s’exprime mieux que moi, je me suis rendu au bureau de l’état civil, dans le but d’y faire une scène affreuse.

Dans la langue de ce peuple poli, les injures manquent complètement ; quand on est très en colère, il faut se contenter d’employer le tutoiement d’infériorité et la conjugaison familière qui est à l’usage des gens de rien. Assis sur la table des mariages, au milieu de tous les petits fonctionnaires ahuris, je débute en ces termes.

— Pour que tu me laisses en paix dans le faubourg que j’habite, quel pourboire faut-il t’offrir, réunion de petits êtres plus vils que les portefaix des rues ?

Grand scandale muet, consternation silencieuse, révérences estomaquées.

— Certainement, disent-ils enfin, on laissera en paix mon honorable personne ; on ne demande pas mieux, même. Seulement, pour me soumettre aux lois du pays, j’aurais dû venir ici déclarer mon nom et celui de la jeune personne que… avec laquelle…

— Oh ! c’est trop fort, par exemple ! Mais je suis