Page:Loti - Madame Chrysanthème, 1899.djvu/313

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
297
MADAME CHRYSANTHÈME

de légers dessins noirs dont la bizarrerie a je ne sais quoi de mystérieux : dragons, emblèmes, figures symboliques. Le ciel éclaire trop ; la lumière est crue, implacable, et jamais ce Nagasaki ne m’avait paru si vieux, si vermoulu, si caduc, malgré ses dessus en papier neuf et ses peinturlures. Ces maisonnettes de bois, au dedans d’une propreté si blanche, sont noirâtres au dehors, rongées, disjointes, grimaçantes. — À bien regarder même, elle est partout, la grimace, dans les masques hideux qui rient aux devantures des antiquaires innombrables ; dans les magots, dans les jouets, les idoles : la grimace cruelle, louche, forcenée ; — elle est même dans les constructions, dans les frises des portiques religieux, dans les toits de ces mille pagodes, dont les angles et les pignons se contorsionnent, comme des débris encore dangereux de vieilles bêtes malfaisantes.

Et cette inquiétante intensité de physionomie qu’ont les choses contraste avec l’inexpression presque absolue des vrais visages humains, avec la niaiserie souriante de ces petites bonnes gens que l’on aperçoit au passage, exerçant avec patience des métiers minutieux dans la pénombre